Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la première république. Un Villerglé voudrait-il courber son épée devant de pareils émissaires? M. de Grisolle écrivit tant de lettres et fit si bien, que Pierre envoya sa démission au ministère de la guerre et revint à Paris, où tout d’abord le nom de sa famille et le souvenir de son frère le firent accueillir dans le meilleur monde. Le soin de recueillir la succession qui venait de lui échoir et de mettre toutes ses affaires en ordre occupa ses premiers loisirs. Quand l’empire des mœurs et des vieilles habitudes eut apaisé la tourmente révolutionnaire, il monta sa maison et ses écuries, et bientôt il devint l’un des hôtes les plus zélés de Chantilly et de La Marche. Il y avait cinq ou six ans que cela durait, quand Pierre se laissa aller un matin à cette rêverie dont nous venons de suivre la pente avec lui.

Il regarda par la fenêtre et vit dans le jardin un ouvrier qui réparait un vieux mur dégradé. Le pauvre homme, à cheval sur le faîte, travaillait de bon cœur et chantait à tue-tête.

— Est-il heureux! dit Pierre; il n’ira pas au Bois, ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais!

Il se retourna et donna un coup de poing sur un meuble qui était près de là. Ce coup de poing fit tomber un paquet de lettres que son domestique avait posées sur ce meuble. Pierre en ramassa une au hasard et l’ouvrit. La lettre était de son régisseur, et lui apprenait qu’une maison qu’il avait du côté de Dives, en Normandie, menaçait ruine. Les murailles étaient crevassées, et il pleuvait au travers du toit. Il fallait bien huit ou dix mille francs pour mettre la maison en état, et le régisseur n’osait pas prendre sur lui une dépense aussi considérable. Cette maison, qu’on appelait dans le pays la Capucine, rappelait de bons souvenirs à Pierre. Pendant quelques années, à l’époque des vacances, il allait y rejoindre sa mère et son frère, qui s’y rendaient à cause du voisinage de M. de Grisolle. C’étaient alors de grandes parties de pêche et de chasse où il trouvait un plaisir extrême. Que de courses en bateau ! que de promenades sur les falaises! Il revit la mer comme dans un rêve, — la mer, les dunes, le lourd clocher de Dives, les pommiers si souvent mis au pillage, la rivière et le canot qui obéissait si lestement à la rame, les marais d’où s’envolait la bécassine, les pêcheurs et leurs filets, — et il se sentit chaud au visage. — Si je rendais visite à la Capucine? se dit-il.

Une heure après et sans chercher le temps de dire adieu à personne, Pierre avait pris le chemin de fer du Havre. Un paquebot le conduisit à Trouville, d’où un méchant cabriolet le mena tout droit à Dives. Son domestique était tout ahuri et se donnait au diable pour comprendre le motif de ce départ si brusque. — Certainement ce n’est pas à cause de Mlle Aglaé... Qu’est-ce donc? se disait-il. — Quand il