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PIERRE DE VILLERGLÉ




Vers le commencement du mois de novembre 185., le comte Pierre de Villerglé possédait l’une des écuries les plus belles et les mieux composées qu’on put voir dans le faubourg Saint-Honoré : son cheval favori, Calembour, avait gagné le prix du Jockey-Club aux courses du printemps. Le comte occupait un vaste appartement au rez-de-chaussée d’un magnifique hôtel bâti par un fermier-général rue de Miromesnil. Il passait pour très riche, et l’était réellement, bien qu’il eût écorné son patrimoine d’un demi-million pour se mettre sur un pied convenable dans le beau monde de Paris. M. de Villerglé était d’une bonne noblesse de province : l’écusson de sa famille, issue de l’Anjou, figurait dans la salle héraldique des croisades au musée de Versailles. A tous ces avantages, il joignait une santé à l’épreuve de toutes les veilles et de toutes les intempéries. A trente-quatre ans, âge où nous le rencontrons dans la vie, il était grand, maigre et brun, avec des traits irréguliers, une forêt de cheveux noirs, de belles dents, et quelque chose de déterminé dans la physionomie qui n’était point déplaisant. Il avait la voix sonore et le geste un peu brusque. Quelques vieilles dames du faubourg Saint-Germain, auxquelles il était attaché par des liens de parenté éloignée, et qui avaient traversé la cour de Louis XVIII, où se retrouvaient, mais effacés déjà, comme un écho et un reflet des mœurs élégantes et polies de Trianon, disaient de leur petit-neveu qu’il n’avait pas tout à fait les manières d’un grand seigneur. C’était, il est vrai, moins sa faute que celle du temps où il vivait. Si Pierre n’était pas un gentilhomme dans le vieux sens du mot, c’était un véritable et parfait gentleman. On ne pouvait voir en lui ni un aigle, ni même un esprit d’élite; mais tel qu’il était, brave à toute épreuve.