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déjà construites, et l’enceinte fortifiée n’aura pas moins de douze kilomètres de développement. Le système d’opposer à l’ennemi des lignes droites ou des courbes très aplaties a sur celui des anciennes enceintes à angles plus ou moins aigus des avantages dont les fortifications de Paris offrent une remarquable réunion, et dont M. de Todtleben a donné la preuve à Sébastopol; mais il a l’inconvénient d’exiger le concours d’une garnison extrêmement nombreuse, et les circonstances qui en font la force quand cette condition est remplie deviennent, quand elle ne l’est pas, autant de chances de malheur. Le manque absolu d’eau douce aux abords de la grande enceinte de Pola n’est pas la moindre des difficultés qu’aurait à surmonter un assiégeant.

L’établissement de Pola ne peut guère revenir à moins de 60 millions de francs, mais il n’a pas besoin d’être achevé pour rendre de très grands services à la marine autrichienne. Cette création honorera à jamais le règne de l’empereur François-Joseph. Pour la conduire à bien, il l’a placée au-dessus des entraves et des lenteurs désespérantes que la puissance des bureaux impose dans son pays aux entreprises les plus simples. Une volonté énergique au service d’une pensée intelligente se manifeste partout dans l’ensemble et dans les détails des travaux de Pola; tout y marche avec ordre, avec rapidité, sans confusion, sans pertes de temps : un pouvoir qui n’a de limite que celle des crédits financiers y est en contact immédiat avec les difficultés qu’il est chargé de résoudre, et dispose de tout avec autant de promptitude que de sagesse. Cette réunion des lumières, de l’esprit de suite et de l’autorité sur une même tête rapprochera beaucoup pour l’Autriche l’acquisition d’une marine militaire dont la force sera dans un juste rapport avec les besoins et les ressources de son littoral. Gouverner c’est choisir, a dit Louis XIV. C’est ce qu’a fait l’empereur François-Joseph quand il a voulu constituer sa marine, et il a eu le rare bonheur de trouver dans sa propre famille le plus digne dépositaire de sa confiance que lui pût offrir son empire.


La renaissance maritime qui s’opère dans l’Adriatique au milieu de circonstances dont l’ancien monde est profondément ému paraît de nature à modifier l’équilibre de l’Europe, et elle a droit à la plus sérieuse attention. La force navale de l’Adriatique est tout entière sur la côte orientale, et néanmoins, tant que les provinces illyriennes sont restées isolées, dans un état presque barbare, la civilisation, qui régnait sur la rive opposée, a pu les soumettre et s’en faire un instrument de domination. Leurs populations intrépides n’ont jamais cessé, sous les Romains comme sous les Vénitiens, de protester contre l’abus dont elles étaient les victimes, et elles ont rare-