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ritoire turc et le commerce vénitien. Les uscoques apprirent bien vite, à l’aspect de la mer, que leurs expéditions par terre n’étaient qu’une duperie. Montés sur une multitude de barques armées, ils enlevèrent les bâtimens ottomans jusque dans les rades et dans les ports. Ils respectèrent d’abord les pavillons chrétiens; mais la Porte ayant requis la république de Venise, qui se prétendait souveraine de l’Adriatique, d’en faire la police, celle-ci, après de longs pourparlers avec l’Autriche, qui finit par la laisser faire, attaqua les uscoques, et fit pendre aux vergues de ses galères tout ce qui lui tomba sous la main. La guerre fut alors ouvertement déclarée, et la richesse des proies qu’offrait le commerce de Venise aidant, Segna devint le refuge de tout ce qu’il y avait de malfaiteurs ou de révoltés dans les provinces limitrophes d’Autriche, de Turquie, et sur le territoire vénitien même. Cette association de brigands croissait ainsi en nombre aussi bien qu’en audace. Les femmes qu’elle enlevait devenaient bientôt ses complices les plus animées, et, joignant la raillerie à la violence, les ravisseurs des filles des îles vénitiennes revenaient en force réclamer les dots qu’ils prétendaient dues à leurs épouses. La fécondité de ces femmes menaçait l’avenir de la perpétuité des fléaux du présent. Souvent les pirates déconcertaient leurs ennemis et leurs victimes par des prodiges d’audace, d’adresse et de cruauté. Tantôt ils se dérobaient, par les plus affreuses tempêtes, aux croisières établies contre eux; tantôt, leurs barques ne suffisant pas pour contenir le butin fait sur les Turcs, ils se tiraient d’embarras en s’emparant de vive force de tous les navires du port vénitien de Sebenico; une autre fois, en 1606, les équipages de trois de leurs barques massacraient celui d’une frégate vénitienne richement chargée; plus tard, dans un des abris de l’île Pago, ils enlevaient à l’abordage une galère commandée par le patricien Christophe Venier, jetaient à la mer, après le combat, l’équipage et les passagers, et tranchaient la tête sur le rivage aux officiers faits prisonniers. Si le blocus se resserrait, ils se rejetaient par terre sur l’Istrie vénitienne, pillaient Pola et d’autres villes, et ne lâchaient leur proie qu’en incendiant ce qu’ils ne pouvaient pas emporter. Les Turcs et les Vénitiens envoyaient vainement des troupes et des escadres devant Segna. Les uscoques avaient aussi bien qu’eux une diplomatie et des alliances patentes ou dissimulées. Il est triste de reconnaître que dans cette lutte de la force organisée contre le brigandage la population des îles était souvent du côté des uscoques. Soit qu’ils payassent quelquefois au lieu de prendre, soit qu’ils ne fussent pas toujours dépourvus de générosité envers les faibles, leurs voisins les laissaient rarement manquer de vivres ou d’utiles avis; leurs ennemis eux-mêmes, toujours jaloux les uns des autres, leur