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peu d’attention l’allure de la côte d’Istrie, que Trieste n’était qu’une impasse avant le percement des montagnes qui bornent son horizon. Jusque-là les avantages maritimes de sa position étaient frappés de stérilité par les obstacles auxquels ils correspondaient du côté de la terre. Les assises méridionales des Alpes carniques plongent leur pied dans les eaux du port de Trieste et dressent leurs escarpes monotones aux portes de la ville; aucune coupure n’en rompt l’uniformité, n’en facilite l’ascension. En arrière de ce rempart formidable, il faut franchir une longue succession de crêtes arides pour atteindre les affluens du Danube, et le bassin de ce grand fleuve ne devient de nos jours l’inépuisable champ d’exploitation du commerce de Trieste que grâce à des perfectionnemens de communication dont nos aïeux n’avaient pas l’idée. La grandeur de cette ville est donc une création de l’art moderne, et si l’histoire de son passé contenait moins d’enseignemens sur l’avenir de l’Autriche, de l’Italie, et même sur la politique de la France, elle n’aurait pas d’autre intérêt que celui qui s’est de tout temps attaché aux humbles commencemens des grandes choses.

Il n’est pas certain que Trieste ait fait cause commune avec les villes de l’Istrie et de la Dalmatie que leurs malheurs et leur lassitude placèrent au Xe siècle sous le joug de la république de Venise; mais elle était sous le joug en 1274, car elle se trouva en tête de l’insurrection de sa province. Le souvenir des châtimens cruels que lui valut le mauvais succès de cette tentative n’empêcha pas un nouveau soulèvement d’éclater en 1367. Les Vénitiens furent chassés, les secours de la Carniole appelés, et la place fut mise en état de défense avec une telle vigueur, que lorsque les troupes et les galères de la république se présentèrent, croyant y rentrer sans coup férir, elles eurent un siège régulier à entreprendre. Au bout d’un an de combats, elles n’avaient fait aucun progrès, et les vaillans assiégés ayant offert au duc d’Autriche, Léopold, la souveraineté de leur territoire, s’il voulait les délivrer, ce prince vint attaquer les Vénitiens dans leurs lignes. Ceux-ci lui résistèrent, et, déjà refroidi par les coups qu’il avait reçus, la seigneurie acheva, par une offre de 75,000 ducats, de le décider à se tenir tranquille. Battu et content, il reprit le chemin de Vienne et fit une déclaration de neutralité. Les Triestains, restés seuls, continuèrent pendant une année encore une lutte inégale; mais enfin, réduits par la famine, ils se rendirent en 1369. Les principaux d’entre eux furent mis à mort après la capitulation, et les Vénitiens construisirent, pour contenir la ville, une citadelle qui la dominait.

Onze années s’étaient à peine écoulées, et la république de Venise se voyait, par la reprise de Chioggia sur les Génois, au terme de la lutte sanglante qu’elle soutenait contre eux, lorsque leur amiral,