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pas en possession. Mettre ces vastes provinces en communication facile avec la mer, y faire déboucher leurs produits, c’est le moyen de les policer, de les vivifier, de les enrichir. Le commerce de la Méditerranée est intéressé à ce que les Turcs apprennent qu’il dépend d’eux d’élever sur ces bords délaissés une ville florissante, il l’est d’autant plus qu’un de ses premiers besoins est celui des bois de construction, et qu’en arrière du canal, les Turcs possèdent des forêts dont l’avilissement se transformerait par l’ouverture de cette voie en une énorme valeur. La porte doit d’ailleurs prévoir que l’exploitation de ce tronçon de son rivage peut un jour faciliter entre elle et l’Autriche des échanges de territoire réciproquement profitables.

Nos ingénieurs hydrographes ont été les premiers à reconnaître les mérites du canal de Calamota; ils n’ont pas été les seuls. Les Anglais demandaient, il y a quelques années, à l’Autriche l’autorisation d’y former, pour la commodité de la navigation à vapeur, des dépôts de houille qu’on eût entourés d’une simple chemise pour les mettre à couvert des entreprises des voleurs. Un peu plus tard, l’empereur Nicolas imaginait des combinaisons en vertu desquelles il aurait pris pied sur le canal, et qui passaient à Vienne pour être le but réel du voyage de deux jeunes princes de sa famille. Les Russes, interposés sur l’Adriatique, comme ils l’étaient déjà sur le Bas-Danube, entre l’Autriche et la Turquie, auraient alors tenu le couteau sur les flancs de l’un et de l’autre pays. Heureusement pour la France et pour l’Angleterre, ces projets ont échoué; elles auraient pu sans cela se voir quelque jour obligées d’aller renverser sur le canal de Calamota une autre Sébastopol.

Les côtes d’Illyrie conservent pour témoins directs des vues de Napoléon sur l’Adriatique les travaux hydrographiques de nos ingénieurs, les routes que fit percer le maréchal Marmont tant pour ouvrir la Carniole et la Carinthie au commerce de Trieste que pour lier entre eux le port de Raguse et l’établissement militaire de Calamota, les vestiges épars de quelques années d’une administration intelligente et probe, mais surtout la fin du morcellement des territoires et la réunion sous un même pouvoir de ce qui n’a qu’un même intérêt. C’est sur cette base que la puissance de la paix et du commerce, bien supérieure à celle de Napoléon, accomplit aujourd’hui librement l’œuvre qu’il croyait ne pouvoir achever qu’à force de victoires : le monde a marché, et la navigation de l’Adriatique devient plus florissante qu’elle ne l’eût jamais été sous son sceptre. Malgré la malheureuse impossibilité que Napoléon s’était faite de se fier à l’Autriche, ce fut une des grandes erreurs de sa politique que de lui enlever les provinces illyriennes. L’accès de l’Adriatique était aussi nécessaire à ce grand empire que l’est à la France celui des eaux de