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je n’aie pas vu vos travaux avant les engagemens que j’ai pris : ils auraient beaucoup réduit les sacrifices que m’ont coûtés mes erreurs sur la valeur de cette position. »

Ce mécompte avait une compensation dans la découverte du canal de Calamota. Qu’on ne regarde point comme trop ambitieux ce terme de découverte appliqué à la manifestation de grands avantages méconnus ou négligés. Le canal de Calamota s’appuie, sur une longueur de 36 kilomètres, à la côte de Dalmatie, et sa largeur moyenne est de 1400 mètres : la surface en est par conséquent de 5,000 hectares. Sa branche septentrionale pénètre dans la presqu’île de Sabioncello jusqu’à Stagno, et sa branche méridionale s’avance en arrière de Raguse, de manière à placer cette ville dans une presqu’île : entre les deux pointes qui masquent les extrémités du canal se présentent quatre îles laissant entre elles des passes sûres, mais faciles à défendre. Les navires atteignent ou quittent cette enceinte par tous les vents, et ils y trouvent un repos toujours assuré sur un mouillage partout tenace et profond. Ce vaste bassin offre pour l’emplacement d’un arsenal plusieurs positions qui, excellentes partout ailleurs, s’effacent ici devant la rivière d’Ombla, long canal de deux ou trois cents mètres de large que la nature a creusé comme pour cacher derrière la côte de Raguse un port militaire inexpugnable. Cette rivière n’est autre chose qu’une de ces sources énormes qui surgissent de distance en distance sur les côtes de la Dalmatie. Ses eaux refoulent au loin les eaux salées, et les navires y mouillent quand ils veulent s’abreuver. Dès que Napoléon eut considéré les avantages du canal de Calamota, il n’hésita pas, et son choix fut fixé. M. Beautemps-Beaupré n’avait qu’une seule objection contre cette détermination : c’était le voisinage trop rapproché de la frontière turque et l’insuffisance du territoire annexé à l’établissement. Napoléon, souriant, le pria de s’en rapporter à lui sur cette partie de la question. Il ne lui était pas réservé de la résoudre, et la frontière a conservé l’ancienne bizarrerie de sa délimitation. Au lieu de marcher, vis-à-vis de l’île de Calamota, parallèlement à la côte, elle se dirige par un double repli vers la mer, de manière à intercaler dans le territoire autrichien une épaisseur d’environ deux lieues de territoire ottoman. La petite république de Raguse, jadis maîtresse de cette langue de terre, l’a cédée à la porte pour se mettre à l’abri des vexations et des violences auxquelles l’assujettissait le contact des possessions vénitiennes. Les Turcs acceptèrent cette offre pour le plaisir de se rendre désagréables aux Vénitiens, qu’ils détestaient, mais ils n’en ont pas tiré d’autre parti, et le quai naturel qu’ils possèdent sur le canal de Calamota est désert. Ils comprendront sans doute par la suite de quel immense avantage peut être pour l’Hertzégovine et la Bosnie ce jour ouvert sur l’Adriatique : on ne saurait le payer trop cher, si l’on n’en était