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lecture de ses dépêches, que Gustave III ne le prenait plus pour confident de tous ses projets, qu’il le laissait sans instructions, qu’il choisissait enfin d’autres instrumens pour exécuter les mesures qu’il avait méditées, témoin la fuite de Varennes, confiée aux soins de Fersen, et dont M. de Staël n’eut pas le secret.

Bien plus, M. de Staël était réduit à se défendre auprès du roi contre beaucoup d’accusations diverses. « Si j’ai mis du ménagement dans l’expression de mon indignation et de mon mépris à l’égard des tyrans d’un nouveau genre qui renversent le trône de France, c’est que je croyais utile aux intérêts de votre majesté d’attendre les événemens. (13 janvier 1791.) — Je ne mérite pas plus les accusations des pamphlets patriotiques que les reproches contraires qui m’ont été adressés par les différens partis. » On le voit enfin formellement réprimandé en certaines circonstances par Gustave III, notamment en juillet 1791, pour avoir, par une réclamation auprès de M. de Montmorin, reconnu implicitement cette personne comme ministre des affaires étrangères.

M. de Staël était-il donc menacé de perdre, après en avoir joui quatre ou cinq ans à peine, la brillante ambassade qu’il n’avait conquise qu’au prix de tant d’efforts et après une si longue négociation? Il ne le croyait pas. On se souvient qu’il avait pris ses mesures longtemps à l’avance pour garantir à Mme de Staël et à lui-même une tranquille possession, et il est amusant de le voir, dans ses dépêches, s’inquiéter après tout fort médiocrement pour lui-même au milieu de tant de ruines, rassuré qu’il est par le souvenir des engagemens qu’a consentis Gustave III, et qu’il ne se fait pas faute de lui rappeler expressément. Dès le mois de juillet 1789, quand Fersen paraît bien l’avoir déjà remplacé dans la confiance et de Gustave III et de la cour de France, il écrit intrépidement : « La reine voudrait sans doute obtenir de votre majesté que M. de Fersen fût nommé ambassadeur de Suède à Paris, mais j’ai pour moi les assurances de votre majesté. » Autre part, dans une dépêche du 12 avril 1790, il identifie naïvement le sort de la France à celui de son ambassade.