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« LE BARON. — Vous ne répondez pas? (Il lui offre au tabac.) Ah! ah! ah!

« WOLFANG. (Il prend du tabac et rit avec affectation.) Ah! ah! ah! Ainsi nous sommes d’accord?

« LE BARON. — Parfaitement. Il n’est plus besoin d’explications.

« WOLFANG. — Non, non. J’aurai au contraire besoin d’éclaircissemens plus particuliers, et même d’une espèce de programme secret, car je sais bien que les journaux qui émanent du pouvoir sont faits pour diriger l’opinion, pour constituer et discipliner le parti de la majorité, et surtout pour troubler le sens politique, préoccuper les lecteurs et les abonnés des autres journaux, de manière à leur rendre la vie impossible. Jusque-là, rien de mieux : l’écrivain ministériel est comme l’écrivain à la solde de l’opposition, du parti qui aspire au pouvoir; mais quelquefois, je suppose, il y a d’autres intérêts spéciaux et secrets à servir, quelquefois...

« LE BARON. — Quel coup d’œil ! quelle forte tête ! que de tact ! Assurément il y a d’autres intérêts. Par exemple, un ministre a la passion du jeu; mais comme il n’est pas séant qu’il joue, si ce n’est quelques parties d’écarté entre une valse et une mazurka, à une soirée diplomatique, pendant le carnaval... pour se divertir,... il joue... sur les fonds publics.

« WOLFANG. — Ah ! (A part.) Voilà précisément ce que je voulais savoir.

« LE BARON. — Sans doute... en société, et sous le nom d’un autre...

« WOLFANG. — Qui se fait directeur d’un journal...

« LE BARON. — Et du télégraphe électrique...

« WOLFANG. — Pour opérer sur les nouvelles... vraies...

« LE BARON. — Ou fausses...

« WOLFANG. — La hausse...

« LE BARON. — Ou la baisse des valeurs...

« WOLFANG. (A part.) — Je suis perdu. Je désespère de rester honnête dans un pareil monde. (Haut.) Ainsi...

« LE BARON. — Ainsi nous nous entendons. On élèvera le chiffre de vos appointemens, les gratifications ne vous manqueront pas, non plus que les moyens d’employer votre influence. »


Cette scène ne manque pas de franchise et de réalité; mais pourquoi voir en tout le mauvais côté et prendre pour un mal hideux l’inconvénient inséparable du bien? C’est que M. Vollo, doué d’ailleurs d’une certaine faculté d’observation, se laisse trop emporter par l’impétuosité de son esprit. Il est en tout l’opposé de M. Martini : chez lui, c’est l’imagination qui joue le principal rôle. Peut-être cependant s’aide-t-il aussi trop souvent de sa mémoire : j’imagine qu’il croit inventer quand il ne fait que se souvenir; mais il abuse des réminiscences, et il se souvient fréquemment de ce qui ne mériterait pas d’être retenu. Son dénouement, scène de bal masqué où Wolfang arrache tous les masques et dit à chacun son fait, est visiblement emprunté à un vaudeville qui a fait quelque bruit il y a plusieurs années. Au début, il y a tel récit du journaliste Esprit qui nous remet en mémoire des monologues bien connus. Est-ce ainsi, je le demande, qu’on fait une comédie sérieuse? Ces réserves faites, il y aurait de l’injus-