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que ce fripon émérite couvert de chaînes d’or, de bagues, d’épingles et de tout l’appareil d’un luxe suspect, affectant la grandeur dans les manières, la délicatesse dans les goûts, prodiguant à propos une fortune d’emprunt, tranchant du grand seigneur, et tellement identifié avec son rôle, que les plus graves complications troublent à peine sa présence d’esprit et son sang-froid. C’est ainsi qu’il faut être quand on veut exploiter largement la crédulité publique. Pourquoi M. Martini nous gâte-t-il une donnée intéressante, un caractère jusque-là bien présenté, en attribuant à M. Le baron de Newdork (un baron citoyen des États-Unis !) je ne sais quel vol grossier et vulgaire qui devrait répugner aux habitudes élégantes de cet exquis chevalier d’industrie ? En vain l’auteur allègue-t-il pour sa défense que son héros est sur le point de prendre la fuite, et qu’il n’a plus rien à ménager, pas même sa réputation ; la vulgarité doit lui répugner pour elle-même. Il y a des gens chez qui tout est élégant, même le vice et le crime. On passerait plus volontiers sur ce défaut, si M. Martini avait moins sacrifié les personnages secondaires au caractère principal, dont il semble s’occuper exclusivement, s’il avait surtout fait preuve de plus d’imagination. Malheureusement des femmes éhontées, des dupes sans esprit, qui s’agitent, mais que personne ne mène, pas même l’auteur, une action trop lente dans les deux premiers actes, trop précipitée dans les deux derniers, des procédés scéniques qui sont devenus un lieu commun du métier, voilà les défauts qui ont compromis le succès de cet ouvrage ailleurs qu’à Florence.

Si la plus récente comédie de M. Martini, le Mari et l’Amant, a obtenu en Toscane les applaudissemens qu’on ne refuse guère à un nom connu, personne ne s’en est dissimulé l’infériorité. Elle reflète trop d’ailleurs les mœurs françaises pour avoir ce mérite d’observation italienne qui recommande ses aînées, et elle est trop visiblement imitée d’Une Chaîne, de M. Scribe, pour qu’on en puisse louer l’invention. Elle a aussi l’inconvénient d’être un plaidoyer plutôt qu’une peinture. La cause du moins est-elle soutenable ? L’auteur prétend que la femme séduite n’est pas responsable de sa faute, ce qui revient à dire qu’il y a des hommes irrésistibles, ou que la complicité figure à tort au code pénal. Cette morale est de la force de celle que M. Martini tire lui-même de son Chevalier d’industrie. « Femmes, dit-il par l’organe du sage de la pièce, préférez les Italiens aux étrangers. » Quoi donc ? N’y aurait-il pas de fripons en Italie ? J’aime à croire que M. Martini saura justifier sa réputation par des travaux plus complets. Qu’il s’attache à penser par lui-même, à créer quelque chose, car l’observation n’est pas tout au théâtre, et jusqu’à présent l’on ne peut voir en lui, si j’ose le dire, qu’un miroir intelligent.

Si du moins, comme on l’assure, il est un miroir fidèle, si son