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« MALVINA. — Il t’a proposé une femme?

« FRÉDÉRIC. — Non...

« MALVINA. — Ne me trompe pas.

« FRÉDÉRIC. — Non, mais il répète toujours les mêmes choses. Il est riche, il n’est plus jeune, il voudrait voir l’emploi de sa succession arrêtée. C’est là son thème favori; mais enfin j’ai le droit de prendre du temps : il s’agit de l’affaire la plus importante de la vie. Qui sait?...

« MALVINA. — Alors attends. Si notre amitié suffit encore quelque temps à ton bonheur, attends. Quand le jour sera venu, tu pourras... Moi, mon rôle dans le monde sera fini.

« FRÉDÉRIC. — Viendrez-vous ce soir à la fête de mon oncle?

« MALVINA. — Oh! non, certainement. Le bruit des fêtes ne m’attire plus depuis longtemps. Il me reste encore pour quelques jours les joies de l’intimité,... et puis... »


Cependant Malvina se ravise. Le désir d’éclipser sa rivale, de ramener son amant, son ami à ses pieds, la conduit à cette fête dont elle est bientôt la reine. Elle triomphe avec autant de bon goût que d’éclat, mais elle dédaigne de profiter de sa victoire, et elle part pour ne pas profiter d’une surprise du cœur, laissant Frédéric au désespoir. Il faut reconnaître que cette femme qui sacrifie, ne fût-ce que momentanément, la paix d’un être aimé au vain désir de ne pas paraître vaincue, est bien étudiée et prise sur nature. On regrette seulement que les autres personnages ne soient guère là que pour lui donner la réplique, que certains détails de cette comédie touchent de bien près au gros drame, et que les autres soient plutôt des propos de salon sténographiés avec soin que des conversations dignes de la scène par leur intérêt, leur originalité ou leur élévation.

Le Misanthrope en société, qui a suivi de près la Femme de quarante ans, n’a pas rencontré moins de faveur. Cet ouvrage ne me paraît pas cependant avoir tenu les promesses du précédent. Rien de plus fâcheux que ce titre, car il rappelle le chef-d’œuvre de Molière; rien de plus faux, car Maurice, le héros de la pièce, n’est point un misanthrope, mais tout simplement un jeune élégant malheureux en amour, et qui, dans le premier feu de sa douleur, voit la vie en noir. Peut-on du moins s’intéresser à cette banale infortune? L’action est à peine indiquée; on ne voit guère pendant cinq longs actes qu’interminables dissertations sur l’amour et la galanterie; on a peine à comprendre quelle vengeance Maurice prépare et savoure à l’avance : s’il en parle, c’est toujours à mots couverts, et elle n’aboutit pas. Ici, comme dans la Femme de quarante ans, il faut louer une certaine simplicité dans l’intrigue; mais rien ne nous attache et ne nous fait désirer de savoir la fin.

Le Chevalier d’industrie, le troisième ouvrage de M. Martini, est supérieur à ses aînés par la nouveauté et la vérité du caractère principal. Ce n’est point un être imaginaire que cet élégant sur le retour.