Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« MALVINA. — Mon ami, je vous ai fait attendre. J’en suis fâchée.

« FRÉDÉRIC. — Oh ! je ne prétends pas...

« MALVINA. — Qu’est-ce? qu’avez-vous?

« FRÉDÉRIC. — Moi? rien.

« MALVINA. — Comment, rien? Croyez-vous que je ne vous connaisse pas? Vous êtes troublé, vous venez plus tard qu’à l’ordinaire. Que vous arrive-t-il?

« FRÉDÉRIC. — Rien, je vous assure.

« MALVINA. — Mais alors...

« FRÉDÉRIC. — Combien y a-t-il que vous n’avez vu mon cousin Achille?

« MALVINA. — Qu’a donc votre cousin à voir dans tout ceci?

« FRÉDÉRIC. — Madame, il n’a que trop à y voir. Vous savez qu’il y a cinq ans que je vous aime?

« MALVINA. — Eh bien!

«FRÉDÉRIC. — Eh bien! je m’aperçois que depuis quelque temps vous n’êtes plus la même pour moi, mon amour...

« MALVINA. — Mais que dites-vous là?

« FRÉDÉRIC. — Je n’ai pas le droit de me plaindre. Vous êtes femme d’esprit, tout le monde le sait, et mon caractère maussade...

« MALVINA. — Pas un mot de plus. Vous me récitez un discours préparé, et vous le récitez mal. Vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites. Épargnez-moi donc ces préambules inutiles, et dites-moi tout de suite ce que vous avez à me dire.

« FRÉDÉRIC. — J’ai à vous dire que je n’ai ni le droit, ni la prétention de vous imposer des amis, ni d’exclure aucun de ceux qu’il vous plait d’accueillir; mais je puis bien désirer de ne pas lutter inutilement, au prix de grands sacrifices d’amour-propre, contre ceux qui savent se faire préférer, non parce qu’ils ont plus d’amour, mais parce qu’ils ont plus d’esprit que moi.

« MALVINA. — Et quel est mon préféré, malheureux?

« FRÉDÉRIC. — Ne craignez rien, je ne me plains pas. J’aime infiniment mon rival, je reconnais moi-même sa supériorité, et je vous donne raison. Je vous dis seulement...

« MALVINA. — Frédéric, finissons. De quoi s’agit-il?

« FRÉDÉRIC, montrant la carte de visite d’Achille, qu’il a trouvée en entrant et qu’il tient à la main.

— Mais... il me semble...

« MALVINA. — Que vous semble-t-il? (Elle lui arrache la carte.) Eh bien?

« FRÉDÉRIC, s’animant. — Eh bien ! mon cousin vous plaît. Vous avez raison, vous dis-je. Vous vous donnez beaucoup de mal pour me témoigner encore un sentiment que vous n’éprouvez plus; ainsi nous souffrons tous les deux inutilement. Ce n’est pas la première fois que je vous le dis. J’ai regret de vous perdre, oui, sincèrement; mais qu’y faire? Je saurai me vaincre.

« MALVINA. — Et cela, tout cela pour une carte de visite?

« FRÉDÉRIC. — Non, tout cela n’est pas pour une carte de visite; mais vous savez que je suis jaloux d’Achille, et cependant Achille est ici à tout instant. J’en souffre, vous le voyez, je vous l’ai dit encore hier au soir; vous m’avez promis,... et pourtant il revient ce matin.

« MALVINA. — Eh bien?

« FRÉDÉRIC. — Eh bien! s’il persiste, c’est que vous encouragez ses espérances.