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qui sauva Daniel de la fournaise ardente. Juge si elle ne suffira pas à te sauver! Et puis elle est bénite par le cardinal. — Puisqu’il en est ainsi, reprend Duecce, je m’en rapporte à vous, et vive la sainte foi! »

Tous les coupables ont leur châtiment dans ce drame, sinon sur l’échafaud, que réhabilitent pour un moment les nobles victimes qu’on y fait monter, du moins devant la morale et la conscience. A Ferdinand, à Caroline, l’apparition menaçante du cadavre de Caracciolo, que les flots rejettent et portent sous leurs yeux; à Speciale, la crainte de ne pouvoir être un homme comme un autre; au cardinal, la honte de cette capitulation violée, fruit inattendu, désavoué de ses œuvres sanglantes; à Nelson enfin, le mépris de ses subordonnés. Voyons encore cette scène, si complète dans sa brièveté. Un capitaine et un commodore de l’escadre anglaise se présentent devant l’amiral. A ses côtés est Emma Liona.


«NELSON. — Bonjour, capitaine. Commodore, vous venez de Naples? Quelles nouvelles?

« LE CAPITAINE. — De tristes nouvelles.

« NELSON. — Parlez. La radieuse sérénité du ciel suffira bientôt à dissiper toute trace de soucis.

« LE COMMODORE. — Pût-elle effacer pareillement toute trace de crime!

« LE CAPITAINE. — Lord amiral, nous venons vous demander notre congé.

« NELSON. — Comment! vous voulez nous quitter? Tous les deux?

« LE CAPITAINE, LE COMMODORE. — Tous les deux.

« NELSON, souriant. — Naples n’est pas loin de Capoue. Aurait-elle été funeste à mes vaillans officiers ?

« LE CAPITAINE, gravement. — Nous avons suivi votre flotte à travers les glaces du pôle et les tempêtes de l’Atlantique. Entre les balles et les orages, à Copenhague comme à Aboukir, nous étions heureux et fiers d’être à vos côtés. Ici, c’est autre chose. Nous désirons nous retirer.

« NELSON. — Mais nous sommes entourés d’ennemis! Naples même...

« LE CAPITAINE. — Naples est tranquille. Nous en avons parcouru les rues sombres comme le désert, nous avons vu ses palais muets comme la tombe. De ce silence funèbre, que rompent seuls de temps en temps les gémissemens d’un peuple trahi, il ne s’élève qu’une voix, un cri de malédiction contre l’Angleterre qui l’a livré.

« NELSON. — Taisez-vous, taisez-vous.

« LE CAPITAINE. — A quoi bon me taire, si un peuple tout entier parle, si les cadavres parlent, si bientôt il n’est bruit d’autre chose en Europe? Ce n’était pas assez : un vieux guerrier qui a donné dans nos rangs des preuves merveilleuses de sa bravoure, le vénérable prince Caracciolo, est venu se remettre entre nos mains, se confier à la parole de ses anciens compagnons d’armes, et nous, nous l’avons livré honteusement à ses bourreaux!

« NELSON. — Il a été jugé.

« LE CAPITAINE. — Assassiné. Les juges n’ont rien trouvé à lui reprocher. Oh! que de telles infamies retombent sur les coupables et non sur notre pa-