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« DUECCE. — Ce coquin-là, c’est… frère Bennoni.

« TOUS. — Au feu ! jetons-le au feu !

« DUECCE. — Il prêchait l’égalité au nom de saint François ; maintenant il faut qu’il subisse le châtiment de quelque grand saint… De qui, voyons… Laissez-moi y penser… Donnez le calendrier… Ah ! le supplice de saint Jean-Baptiste. Qu’on lui sépare la tête du cou ; puis élevez-la en l’air sur vos fourches, et nous verrons si, du haut de cette chaire-là, il continuera à croasser. Allez. (On emmène le moine. Arrivent d’autres lazzaroni qui conduisent un boucher, et portent des cordes)

« UN LAZZARONE. — Celui-ci, c’est Christophe le boucher. Sa maison était marquée de trois croix rouges. Nous entrons, et voici le paquet de cordes que nous trouvons sous nos pieds.

« DUECCE. — Ah ! chien ! Tu étais de la conspiration, dis ? tu en étais ? Tu voulais avec des cordes étrangler les pauvres lazzaroni ! Mais saint Antoine a révélé ta trame infernale au cardinal, et ces cordes…

« LE BOUCHER. — Je vous jure que c’était pour le service de l’abattoir.

« DUECCE. — Et moi, je te jure qu’elles vont servir à t’étrangler.

« TOUS. — A la potence ! à la potence ! (On l’entraîne.) »


Malheureusement ces scènes animées et vraies sont elles-mêmes des hors-d’œuvre, ou du moins elles ne contribuent en rien au développement de l’action dramatique. À ce reproche M. Lévi répondrait, j’imagine, qu’il n’a pas voulu détourner l’attention des malheurs publics pour les reporter sur l’infortune privée de tel ou tel de ses personnages, et que ce que nous prenons pour des hors-d’œuvre, c’est le drame même. Cette réponse ne saurait le justifier entièrement. L’intérêt ne peut pas toujours être collectif ; il faut que le spectateur puisse s’attacher à l’un des principaux personnages et le suivre, sans trop de distractions, dans toutes les vicissitudes de sa fortune pendant le temps que dure l’action. C’est à cause de lui qu’on s’intéresse à ceux qui l’entourent, et suivant une loi de l’esprit humain qui est en même temps une règle dramatique, nous passons ainsi du particulier au général. Sans cela, l’auteur a beau faire, il nous laisse froids, sinon indifférens. Or c’est là encore un défaut de l’ouvrage qui nous occupe. Emma Liona fait horreur malgré les circonstances atténuantes que M. Lévi prétend trouver dans les malheurs qui ont affligé son enfance. Qu’on lui pardonne ses nuits de débauche et cette facilité honteuse qui la pousse des bras d’un palefrenier dans ceux d’un roi, en passant par tous les degrés de l’échelle sociale, j’y consens ; mais comment excuser l’emploi qu’elle fait de sa beauté flétrie pour perdre son pays et servir de royales fureurs ? Qu’importe qu’elle ait aimé sincèrement le chef patriote Caraffa, qu’elle ait même été sa maîtresse, puisque telle est sa seule manière d’aimer ? qu’importent ses projets de vengeance pour un abandon mérité, et ses remords tardifs pour une catastrophe qu’elle a causée ? Non, l’intérêt ne peut s’attacher à cette femme ; il répugne même de la