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matiques à représenter chaque année un certain nombre d’ouvrages nouveaux; mais, assurés d’y perdre, ces entrepreneurs n’obéissent qu’à leur corps défendant et lésinent sur tout, sur les décors, sur les costumes, sur les répétitions, sur les droits d’auteur. Je ne dirai pas que de là vient la chute des pièces représentées; il faut avouer du moins que ces conditions si difficiles expliquent en partie le découragement des auteurs, et par suite la faiblesse des ouvrages. Et ces embarras atteignent jusqu’aux écrivains les plus connus et les plus appréciés. Croirait-on que le baron Cosenza, comparé par les Napolitains à M. Scribe pour sa fécondité, son talent et ses succès, fut obligé de renoncer aux théâtres ordinaires et d’en faire construire un dans son propre palais, où il fit jouer, je me trompe, où il joua lui-même, en compagnie de sa femme et de quelques amis, les nombreuses pièces qu’il composait?

Des conditions toutes particulières sont faites, on le voit, aux auteurs dramatiques en Italie. Dans les autres pays, chaque théâtre a son genre, qui se maintient en dépit des changemens de direction. Au-delà des Alpes, un théâtre n’est qu’une salle occupée tour à tour par diverses troupes de comédiens nomades qui ne séjournent guère dans une ville plus d’une saison. Le Théâtre Alfieri ou du Cocomero (Florence), Gerbino ou Carignan (Turin), la compagnie Dondini, la compagnie Righetti, la compagnie Salvini, selon les expressions usitées et compréhensibles en Italie[1], n’ont qu’une analogie bien lointaine avec notre Théâtre-Français. Encore ces expressions n’impliquent-elles aucun genre; chacune de ces troupes dramatiques les aborde tous. Si Florence et Turin semblent conserver ou acquérir une sorte de prééminence, c’est que l’une se souvient d’avoir été l’Italie, et que dans l’autre règne la liberté. Soumises du reste aux usages italiens, elles permettent rarement qu’un ouvrage paraisse plusieurs fois à la scène, et elles ne sont guère pour les compagnies de comédiens qu’une sorte d’hôtellerie. On comprend à quel point de telles mœurs sont funestes à l’art : il n’y a pas, à proprement parler, de scène qui fasse autorité; chaque écrivain fait jouer ses pièces sur le théâtre de la ville qu’il habite; il attend pour cela qu’il passe une troupe à sa convenance, et il lui faut quelquefois attendre longtemps. La nécessité d’être nomades dispense en effet les capi-comici d’avoir un répertoire

  1. Cependant à Naples, au Teatro Nuovo, et quelquefois à Turin, au théâtre Carignan, il y a une troupe sédentaire; mais l’influence du nonchalant public napolitain sur les destinées de l’art est à peu près nulle, et à Turin le titre de compagnie royale accordé de temps à autre à telle ou telle troupe de comédiens est purement honorifique : sous prétexte de vacances, ceux qui la composent passent la moitié de l’année à courir les autres villes de l’Italie. C’est ainsi que Mme Ristori, pensionnaire pendant plusieurs années de la compagnie royale de Turin, profitait de ses mois de congé, qui étaient en même temps ceux de son directeur et de ses camarades, pour donner avec eux à Florence et à Rome des représentations qui ont contribué pour une bonne part à sa célébrité en Italie.