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ceux de Monti, de Pindemonte, de Niccolini, de Pellico, de Manzoni; mais s’ils imitent le maître, ils ont de trop libres allures pour former une école tragique. Chez les deux premiers seulement, on trouve une certaine fidélité de disciples. Leur principal mérite est de se rapprocher de la vérité historique, en attendant que d’autres apprennent l’art de donner à l’histoire cette couleur vivante sans laquelle elle n’est que lettre morte. Les deux tragédies de Manzoni sont en réalité des drames, mieux faits pour la lecture que pour la scène, comme on l’a bien vu toutes les fois que d’imprudens amis les y ont risqués; mais enfin il est évident que le génie moderne commence à s’affranchir du joug des traditions. Les héros de l’écrivain lombard ne sont plus des Romains comme ceux de Monti, des Flamands ou des Écossais comme ceux de Pindemonte; ce sont des Italiens, les Adelchi, Carmagnola, qu’on pourrait prendre, avec un peu de bonne volonté, pour des champions de la cause nationale. Son style, merveilleusement poétique, n’a rien de la raideur, de la sécheresse d’Alfieri; il nous charme au point de nous faire illusion sur la valeur dramatique de ces deux ouvrages.

Silvio Pellico, dans son théâtre, voulait suivre la même voie : ses forces le trahirent. Ceux-là seuls qui avaient attendu pour le lire qu’une troupe italienne vînt jouer sous nos yeux son chef-d’œuvre ont pu s’étonner de la faible valeur de Françoise de Rimini. Depuis 1819, époque où l’ouvrage fit son apparition sur la scène, on a eu le temps de le juger. Silvio est absolument dépourvu de qualités dramatiques. Il manque d’étude, de variété dans le style et dans les caractères, de mouvement, de force dans l’action. S’il nous touche, c’est par hasard, et parce qu’il a rencontré dans la vie intime quelque sentiment tendre et délicat. Niccolini du moins mérite sa réputation. Il a eu la singulière destinée de suivre deux maîtres en sa vie. Dans la première moitié de sa carrière, il s’inspire exclusivement d’Alfieri et des Grecs, et par son énergie comme par sa simplicité il n’est pas indigne de ses modèles. Dans la seconde, séparée de la première par dix ans d’intervalle, il suit la voie nouvelle, indiquée plutôt que tracée par Manzoni, et il laisse loin derrière lui cet habile écrivain, moins heureux au théâtre que dans le roman. Ses premiers succès ne l’empêchent point de changer de manière. Scrupuleux observateur des règles antiques, il n’hésite pas à admettre la liberté que le romantisme avait introduite au théâtre, et il s’attache à la rendre compatible avec les exigences scéniques, trop négligées par la, plupart de ses devanciers. Aussi ses meilleurs ouvrages, Foscarini, Arnaldo de Brescia, ont pu être joués et sont devenus populaires. Comme Manzoni, il est patriote, mais il l’est autrement que lui. Loin de tout subordonner à l’église, il n’en espère rien; il la regarde même comme le principal obstacle à l’affran-