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années après que l’empereur de Dehli eut cédé par traité à la compagnie des Indes le territoire des trois soubahs, Bengale, Behar et Orissa, l’administration resta organisée comme elle l’était sous les ministres du nabab. Soit crainte d’irriter les populations par des changemens violens, soit ignorance de l’état de la contrée, de ses ressources et de ses besoins, le gouvernement de la compagnie ne fit acte d’intervention que dans la perception des impôts, et des fonctionnaires natifs continuèrent à vendre la justice et à pressurer les populations sans que ses agens, occupés du soin de leurs propres affaires, accordassent quelque attention aux violences administratives qui se multipliaient autour d’eux. Aux premiers jours, la conquête anglaise n’apporta donc pas aux populations natives le bienfait d’un gouvernement juste et éclairé, et ne fit que continuer les traditions du despotisme brutal sous lequel elles avaient gémi pendant des siècles; mais les vices de ce système, qui ne donnait ni ordre au pays, un revenu certain à la compagnie, étaient trop apparens pour échapper longtemps à l’attention de la cour des directeurs, et on résolut bientôt de confier exclusivement à des officiers européens l’administration des conquêtes indiennes. Warren Hastings fut le premier des gouverneurs-généraux qui entra résolument dans cette voie nouvelle et appela des Européens à des postes administratifs de haut pouvoir et de grande responsabilité. La modicité des salaires alloués par la compagnie à ses agens était toutefois telle que ce fut là une des difficultés principales de son administration. « Qui serait satisfait, écrivait-il en 1765, d’un salaire de 4 ou 5,000 roupies à Calcutta, lorsqu’en vivant dans l’intérieur on peut réaliser facilement chaque année un, deux et même trois lacs de roupies, comme plusieurs personnes l’ont fait à ma connaissance? » Après Warren Hastings, ses successeurs continuèrent pendant vingt ans les mesures d’épuration que lord Cornwallis compléta en constituant le service civil dans des proportions qu’il a presque intégralement conservées depuis, et en excluant les natifs de tout emploi considérable soit par l’importance de ses attributions, soit même par le chiffre de ses émolumens. Le traitement le plus élevé auquel les natifs purent atteindre sous le nouvel ordre de choses fut fixé à 100 roupies par mois.

L’on tombait sans doute ainsi dans l’excès opposé; mais pour apprécier sainement ces mesures radicales, il faut se rendre compte de toutes les difficultés auxquelles était en proie à ses débuts le gouvernement de la compagnie, qui, entouré de princes ennemis, ne pouvait compter ni sur la probité, ni sur le dévouement de ses propres serviteurs natifs. En confiant toutes les branches du pouvoir à des Européens élevés à son service, soumis à son seul contrôle, la cour des directeurs ne faisait que subir la loi d’une implacable