Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chie. Aussi, de tous les personnages contemporains qui ont été exposés aux attaques de la presse anglaise, il n’en est point qu’on ait plus conspué, plus honni, plus vilipendé, plus chargé de crimes de toute sorte que Old John Company, pour désigner sous son nom de guerre l’honorable compagnie des Indes. En ce moment, nous avons sous les yeux un petit pamphlet, véritable modèle du genre thunderer, dont nous prendrons la liberté de citer le titre : Tyranny in IndiaU... Enghishman robbed of the blessing of trial by jury and English criminal Law !! Christianity insulted !! Le tout, y compris les six points d’admiration, publié à Londres, en 1850, par un auteur qui a modestement gardé l’anonyme.

L’administration indienne a, il faut bien le reconnaître, partagé, malgré ses services, l’impopularité de ses chefs. Le courant des idées démocratiques, si puissant en Angleterre, ne pouvait en effet épargner un service spécial, magnifiquement rétribué, et recruté presque par hérédité dans les mêmes familles. De plus, certains petits faits, insignifians en eux-mêmes, mais dont en somme il faut tenir compte, ont servi à attiser les passions populaires contre le service civil de l’Inde. On peut citer notamment les iniquités scandaleuses qui furent la base de quelques fortunes faites aux premiers jours de la conquête et les allures excentriques de certains Anglo-Indiens revenus en Angleterre aux trois quarts nababisés. Après une trentaine d’années passées au milieu de districts sauvages, sans contact aucun avec la société européenne, dans l’exercice d’un pouvoir absolu, le membre du service civil, rentré dans sa patrie vieux et infirme, ne pouvait dépouiller des airs de dignité officielle, des instincts d’autorité suprême, devenus pour lui une seconde nature. Sous le malade retiré aux bains de Cheltenham ou l’habitant d’un modeste cottage des environs de Londres se retrouvait toujours le don Magnifico des bords heureux du Gange, le tout-puissant Howdah, esqre, agent diplomatique près " le nabab de Hattirabad, ou le non moins tout-puissant Currie, esqre, collecteur du district de Mourgiepore. Aussi le roman, ce reflet souvent exact des idées et des passions populaires, n’a-t-il jamais représenté l’officier retraité du service civil anglo-indien que sous les espèces d’un squelette artistement revêtu de parchemin, au visage de safran, quinteux, hargneux, maniaque, se nourrissant de toute sorte de mets impossibles, — ici avec un foie gigantesque, là sans foie du tout, — et si les auteurs ont rendu ce disgracieux personnage bon à quelque chose, cela n’a jamais été qu’à doter une nièce vertueuse ou à payer les dettes d’un coquin de neveu. Voici pour le mâle ; quant à la femelle, prenez une tranche d’arc-en-ciel que vous décorez convenablement de bracelets de chrysocale, de plumes multicolores, d’agrémens de fil d’argent et de verroterie, soumettez le tout à un régime de quatre repas par jour,