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minés par le fanatisme religieux. L’empire du Mogol était divisé en provinces ou soubah, dont le chef ou vice-roi était revêtu, comme délégué de l’empereur, de pouvoirs absolus en toutes choses, sauf en matière d’impôts. Le chiffre des impôts de chaque province était fixé par l’empereur de Dehli, et un officier spécial institué par lui, le dewan, avait mission de les percevoir. On comprend tous les vices de ce système. Le dewan tirait des populations des sommes plus considérables que celles dont il devait compte à l’empereur, et achetait par des présens le bon vouloir et le silence du vice-roi. De plus, des princes indiens avaient conservé des droits de souveraineté sur des districts considérables, mais cela à la condition de rendre des impôts plus élevés que des officiers mahométans n’auraient pu le faire. Que les populations natives fussent donc passées complètement sous le joug musulman, ou qu’elles eussent conservé des semblans d’indépendance sous des princes indigènes, un système d’exactions coupables, de rapacité effrénée, dominait parmi les gouvernans, et les populations, odieusement pressurées, étaient réduites à la plus déplorable condition. Les jours de grandeur de l’empire de l’Hindostan étaient comptés : miné par la faiblesse des descendans d’Akbar et par la corruption des grands officiers de la couronne, le trône du Grand-Mogol commença à crouler sur ses bases ; des dynasties s’improvisèrent au milieu des dissensions intestines ; la guerre civile étendit ses ravages dans toutes les provinces de l’empire, et le prince de la veille fut le captif du lendemain. Longtemps encore toutefois le titre d’empereur de l’Hindostan demeura dans la maison de Timour, et ce fut en s’appuyant sur des firmans arrachés à la faiblesse du Grand-Mogol, ou même scellés d’un sceau contrefait, que les nouveaux souverains légitimèrent aux yeux des populations leur autorité usurpée.

Au milieu de ce chaos, l’astre de la compagnie des Indes parut à l’horizon. Fondée uniquement pour favoriser les transactions commerciales entre l’Inde et l’Angleterre, elle avait obtenu du Grand-Mogol le droit d’établir des comptoirs sur le territoire de son empire ; mais, au milieu des dissensions intestines qui ravagèrent le pays, chacun des heureux aventuriers que la fortune des armes conduisit au pouvoir suprême se crut en droit de faire subir aux Européens le poids de sa tyrannie et d’extorquer d’eux des sommes souvent considérables. L’instinct de la conservation personnelle poussa la compagnie des Indes à prendre part aux querelles dont les ravages s’étendaient jusqu’aux portes de ses établissemens, et quelques heureux faits de guerre jetèrent, sans plan prémédité à l’avance, les premiers jalons de la route que le char victorieux de l’Angleterre devait si glorieusement parcourir dans l’Inde. C’est un devoir pour l’écrivain de ne pas laisser passer ce fait considérable