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L’attention doit moins se porter sur les dispositions communes aux deux chartes que sur celles qui les distinguent l’une de l’autre. Ce n’est donc pas sur les analogies, mais sur les différences, que nous allons insister.

Suivant la charte de 1833, la représentation immédiate de la compagnie des Indes, c’est-à-dire la cour des directeurs, était composée de 30 membres élus à vie parmi les actionnaires qui satisfaisaient à deux conditions : posséder 2,000 liv. sterl. d’actions et avoir résidé deux ans en Angleterre. Dans l’élection des directeurs, 1 vote était attribué au propriétaire de 1,000 livres d’actions, 2 votes pour 3,000 livres, 3 votes pour 6,000 livres, et !i votes pour 10,000 liv. Les femmes et les filles propriétaires avaient droit de vote. La même charte allouait un salaire annuel de 300 livres à chaque directeur; mais, outre cette rétribution insuffisante de travaux ardus et journaliers, elle réservait exclusivement à la cour, et c’était là le plus beau fleuron de la couronne directoriale, le droit de distribuer les brevets des services civils et militaires de l’Inde. Les hommes éminens qui, il y a près d’un siècle, ont organisé le gouvernement de l’Inde anglaise, ont compris a priori que, pour gouverner des hommes aussi étrangers aux idées et aux mœurs de l’Europe que le sont les hommes de l’extrême Orient, il fallait créer des officiers civils et militaires spéciaux, élevés dès leur jeunesse au milieu des populations natives et rompus à leur langage comme à leurs préjugés. Il n’était toutefois pas facile de déterminer le mode de recrutement de l’administration et de l’armée indiennes. Abandonner aux mains du ministère et de la couronne la distribution de ce riche patronage, c’était leur fournir des armes bien puissantes contre l’indépendance des parlemens. Aussi fut-il résolu de confier la feuille dorée des bénéfices de l’Inde aux mains de la cour des directeurs, corps indépendant, par son organisation, du parlement et de la couronne. L’on peut dire que chaque directeur reçoit en moyenne, pour sa part annuelle de patronage, douze commissions militaires et une commission civile. En évaluant les brevets militaires au même taux que les brevets de l’armée de la reine, soit 500 liv. st., et la commission civile à 3,000 liv. st., somme payée, comme il a été prouvé par enquête, dans certaines transactions frauduleuses, on voit que chaque directeur recevait, sinon en espèces, du moins de fait, un salaire annuel d’environ 10,000 l. st. Les règlemens défendaient, il est vrai, aux directeurs de distribuer les places dont ils disposaient autrement que pour le bien du service, et annulaient tout brevet qui aurait été acheté par quelque valable consideration. Ces règlemens furent violés bien des fois sans doute; bien des fois des commissions furent vendues à prix d’argent soit par les directeurs, soit par leurs amis : la chose a été prouvée clairement par des enquêtes, notamment en