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vemens, ne reportent pas l’esprit vers les temps écoulés, et ne racontent aucune histoire : la société n’a pas laissé son empreinte sur ces visages. Cette beauté intéresse par elle-même et n’éveille jamais la curiosité. Les accidens de la vie ne participent, dirait-on, en rien à sa formation, et il arrive rarement qu’on ait l’idée d’y chercher leurs traces. De telles personnes semblent faites pour la vie calme et saine des forêts et des champs, et c’est là aussi la vie qu’elles préfèrent. Rustique est leur beauté, rustiques sont leurs habitudes. Aussitôt qu’il le peut, l’Anglais s’enfuit loin de la ville. L’opposition qui existe en Italie et en France entre la population et la vie des villes et la population et la vie des campagnes, opposition malheureuse, et qui a eu tant de tristes résultats historiques, n’existe pas en Angleterre. Le vrai séjour de l’Anglais, c’est la campagne. L’aristocratie y séjourne toute l’année ; les riches commerçans de la Cité, leurs affaires finies, vont retrouver chaque soir leurs familles, qui habitent souvent à plusieurs lieues de Londres, Malgré l’extension du commerce et des manufactures, la vie rustique et les populations agricoles sont encore les fondemens des mœurs et de l’édifice social de l’Angleterre.

Le caractère de leur patriotisme est sous le même rapport extrêmement remarquable. Les Anglais n’ont aucune idée de la patrie dans l’acception latine de ce mot. Pour le Français, la patrie c’est le sol même, le sol, qu’on n’emporte pas à la semelle de ses souliers. L’amour du paysan français pour la terre est plus qu’un amour, c’est une religion. Tous les habitans d’un village français se trouveraient, par miracle, transportés loin de leur pays, qu’ils sécheraient d’ennui, quoique réunis ensemble et parlant la même langue. Entre la terre et l’homme, il existe chez nous des relations morales ; la terre n’est pas un objet d’exploitation, c’est un être animé. Nos codes, en faisant consister la propriété dans un lien moral qui unit le possesseur à la chose possédée, ont fait plus que définir un droit ; ils ont exprimé un des sentimens les plus profonds du cœur français. La patrie pour le Français, c’est donc le sol natal ; en dehors de ce sentiment, il ne conçoit rien qu’un certain cosmopolitisme vague et qu’une certaine idée universelle d’humanité. Tout autre est le patriotisme anglais. L’Anglais n’a d’amour pour sa terre qu’en proportion de ce qu’elle lui rend ; elle n’est rien pour lui qu’un moyen de richesse et d’activité, il l’occupe féodalement, et comme par droit de conquête. Quant au sol natal, il n’a pour lui aucune superstition. Le patriotisme anglais consiste dans le fanatisme du sang. Ce qui réunit les Anglais, ce n’est pas la terre, c’est la race. Leur patrie n’est pas circonscrite, par conséquent elle est partout où se parle la langue anglaise, où se trouvent des hommes de race anglaise. C’est là ce qui explique la facilité avec laquelle voyagent et émigrent les Anglais de