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la campagne. La grande beauté des Anglais doit tout au sang et à la race, et rien à la civilisation. Dès les premiers âges, ils étaient renommés pour leur beauté. Le pape saint Grégoire, au commencement du VIIe siècle, rencontra dans les rues de Rome de jeunes captifs anglais d’une beauté si merveilleuse, qu’il les bénit avec cette jolie parole : Non Angli, sed angeli. Après la conquête, cette beauté saxonne émerveillait les Normands eux-mêmes. Au XIIIe siècle, le vif et spirituel empereur Frédéric II de Hohenstauffen, énumérant dans de charmans vers provençaux les belles choses terrestres qui avaient enchanté ses sens, citait les mains et la chair des Anglais : La man e cara de Anglés. Certains peuples développent leur beauté en même temps que leur civilisation ; la race anglaise au contraire a été belle de tout temps. Ainsi, au XVIe siècle, les portraits des personnages français, hommes et femmes, nous frappent décidément par leur laideur relative, un certain tâtonnement maladroit de la nature, un dégrossissement laborieux. L’impression qui reste est celle d’une chrysalide qui a brisé à demi sa coque et qui se dépouille de sa robe grossière. La beauté française dut attendre encore cent ans avant d’arriver à l’expression parfaite d’elle-même[1] ; mais la beauté anglaise ne tient pas à cette influence spiritualiste, c’est une beauté qui tient à la race, au sang. Son caractère est essentiellement barbare. Emerson dit, à propos de la culture intellectuelle des Anglais et de leur penchant à rapporter les choses les plus idéales aux objets les plus familiers, qu’ils ressemblent à des fermiers qui viendraient d’apprendre à lire. Il en est de leur beauté comme de leur culture morale : on dirait des fermiers et des forestiers qui sont tout récemment sortis de leurs cabanes, que l’air des villes n’a pas encore eu le temps de flétrir, et dont le sang et les chairs sont encore empreints des salutaires influences des bois, des montagnes et de la mer. Cette beauté rustique et sauvage a tout le charme et toute la fraîcheur des objets naturels. C’est un fait proverbial qu’en Italie les pêcheurs et les paysans ont tous un air de princes dépossédés, et ce fait est cité comme une preuve de l’antiquité de la civilisation dans ce pays. De même qu’en Italie l’aspect aristocratique est commun à toutes les classes, en Angleterre cette beauté rustique et populaire se rencontre du haut en bas de l’échelle sociale. La force musculaire des Anglais, leur vigoureux profil, l’éclat de leur teint, le calme impénétrable de leurs regards, la gaucherie de leurs mou-

  1. Et encore, au risque de scandaliser les admirateurs fanatiques du siècle de Louis XIV, on peut soutenir que ce n’est pas au XVIIIe, mais au XVIIIe siècle qu’ont apparu les vrais caractères de la beauté française, qui sont la gentillesse, la grâce, le mouvement et la vivacité. La beauté des personnages illustres du règne de Louis XIV frappe par son caractère individuel plutôt que par son caractère national. Au XVIIIe siècle au contraire ; le caractère national apparaît finement marqué sur toutes les physionomies.