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tions ennemies ; mais ce que les Saxons conservèrent surtout pur de tout mélange, ce furent leurs instincts barbares, leur amour du combat, leur dédain de la vie.

Emerson s’emporte contre les Normands, il les appelle voleurs et pirates. Qu’étaient donc les Danois et les Saxons qu’ils vinrent soumettre ? Nous croyons au contraire que la conquête accéléra la marche de cette civilisation qui avait tant de peine à percer l’épaisse couche de barbarie qui recouvrait son germe vigoureux. Il y en avait encore, sans Guillaume et ses compagnons, pour des siècles d’anarchie sanglante. La conquête fut très dure, mais elle se fit dans les meilleures conditions et amena les meilleurs résultats. Elle se fit par des hommes de même origine que les vaincus et doués des mêmes instincts. Au fond, les Normands n’apportaient pas avec eux une nouvelle civilisation ; ils n’apportaient qu’un degré supérieur de culture. Le self-government leur était cher aussi bien qu’aux Saxons ; seulement, placés dans des conditions plus favorables, ils en faisaient une meilleure application. L’indépendance personnelle, au lieu de se traduire chez eux par de violens assassinats, se traduisait par des actes chevaleresques et par des conquêtes de royaumes. On a beaucoup parlé d’un élément latin qui aurait été introduit en Angleterre par les Normands ; mais le seul élément latin qu’ils y aient réellement importé, c’est leur langage. Pour tout le reste, mœurs et institutions, ils ne firent que modifier la forme sans altérer en rien la substance première. Ils n’abolirent pas ces instincts de combat que nous avons signalés, mais ils leur donnèrent un but ; ils régularisèrent l’esprit d’anarchie et tracèrent des limites à l’indépendance personnelle. Ce fut toujours le self-government, mais mieux interprété. Ce sont les Normands qui ont fait cesser la stérilité des instincts saxons et les ont rendus fertiles ; leur épée, en s’enfonçant comme une charrue bienfaisante dans ce sol vigoureux, l’a débarrassé des ronces et des bruyères sauvages qu’il avait produites jusqu’alors, et en a fait jaillir les riches moissons qu’il recelait. Ce que l’Anglais moderne a fait pour sa terre natale, la conquête normande le fit pour la nature saxonne : Emerson remarque très bien qu’en Angleterre rien n’est tel qu’il fut d’abord ; on a transporté la terre fertile, on a utilisé le roc, on a sondé les gués de toutes les rivières. Les lois sur la chasse et le couvre-feu, les dures lois protectrices de la vie des Normands, la tyrannie féodale, furent en quelque sorte les instrumens d’agriculture qui façonnèrent le peuple farouche des vaincus.

Ainsi en Angleterre nulle contradiction dans les faits. Saxons, Danois, Normands, toutes ces populations successives suivent un même courant historique. Les Saxons et les Scandinaves représentent les instincts et les institutions barbares, les Normands représentent le