Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelle aller en quartier chez ses hôtes, et c’était là l’unique manière dont un pauvre roi d’une pauvre terre pouvait vivre, lui et les compagnons qui formaient sa suite, lorsqu’il était obligé de quitter sa propre ferme pour aller, à travers son royaume, rassembler les redevances de ses sujets.

« Ces gens du Nord sont d’excellentes personnes après tout, pleines de bon sens et de fermeté, d’un sage conseil et d’une grande promptitude d’action. Ils ont une singulière propension à l’homicide. La principale fin de l’homme pour eux est de tuer et d’être tué : rames, faux, harpons, leviers, pioches, fourches, sont des instrumens qu’ils apprécient principalement à cause de l’aimable facilité qu’ils offrent pour l’assassinat. Deux rois, après leur dîner, vont se divertir en se passant leur épée à travers le corps, comme firent Yngve et Alf. Deux autres rois, sortant un matin à cheval pour une promenade d’agrément et ne trouvant aucune arme à leur portée, vont saisir, faute de mieux, les mors de leurs chevaux et s’en serviront pour se casser mutuellement la tête, comme tirent Alric et Eric. La vue d’une corde, d’une courroie, d’un cordon leur met immédiatement en tête la pensée de pendre quelqu’un, un mari, une femme, surtout un roi. Un fermier, s’il n’a qu’une fourche, s’en servira pour embrocher le roi Dag. Le roi Ingiald trouve extrêmement plaisant de brûler dans une salle une demi-douzaine de rois après les avoir enivrés. Jamais pauvre gentilhomme obéré ne fut plus las de la vie, n’eut désir plus furieux d’en être débarrassé que l’homme du Nord. Si sa mauvaise étoile lui refuse la chance d’une querelle, le hasard le servira d’une autre manière ; il sera comfortablement transpercé des cornes d’un taureau, comme Egil, ou bien il se tuera en glissant sur un sillon comme l’agricole roi Onund. Odin mourut dans son lit, en Suède ; mais c’était un proverbe traditionnel, qu’il était déplorable de mourir de vieillesse. Le roi Hake de Suède frappe d’estoc et de taille dans un combat aussi longtemps qu’il peut tenir, puis ordonne que son vaisseau de guerre, chargé des cadavres de ses hommes et de leurs armes, soit mis en mer, toutes voiles déployées. Resté seul, il met le feu à du bois goudronné, et se couche heureux sur le pont. Le vent souffla de la terre, chassant le vaisseau qui fuyait en répandant des jets de flammes, entre les îles, au milieu de l’Océan, et ce fut là la digne fin du roi Hake. »


Vous ne reconnaissez point là, n’est-il pas vrai, l’Angleterre moderne, avec sa légalité, ses libertés constitutionnelles, ses universités, son église épiscopale, ses hommes d’état et ses poètes ? Et cependant elle est là tout entière pour qui sait bien voir ; pas un seul trait n’y manque. Seulement, grâce aux leçons du temps et à une culture continue, cette férocité anarchique est devenue indépendance indomptable, cette violence a été tempérée par le respect des droits d’autrui ; cette nature active et libre a appris à s’exprimer par des moyens plus nobles que des combats à coups de fourche. L’analyse des sagas nous révèle le rudiment de l’âme anglaise, et, cet élément une fois reconnu, il est facile d’en suivre à travers l’histoire les lents et successifs développemens. Dans cette sauvage population de pirates et de fermiers, nous avons l’origine de la constitution et de la