Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup; mon maître va me rendre ma liberté et me donner en mariage une de ses filles dont je suis amoureux. Je vivrai tranquille au rancho; je vous promets d’y bâtir une chapelle, et d’y installer un cimetière. »

— Voilà, lui dis-je, de bonnes résolutions; espérons qu’elles seront durables, et que des habitudes laborieuses et sages vous apporteront une fortune égale à celle que vous avez trouvée par hasard et si mal dissipée. Quant à votre grotte, j’ai ouï conter au curé de Matamoros, qui est né à Guadalajara, une aventure qu’il aurait eue dans l’état de Guanaxuato, et qui se rattache à la vôtre par des ressemblances singulières. D’autres données, se joignant à celles-ci, me font croire que les anciens Mexicains ne se bornaient pas aux sacrifices humains, publiquement célébrés sur ces immenses pyramides tronquées dont on rencontre encore des ruines si imposantes. Les Indiens avaient sans doute des sacrifices particuliers qui se consommaient en des endroits isolés et mystérieux comme celui que vous avez découvert.

En somme, ces récits singuliers ont pour fâcheux effet d’entretenir la superstition chez ces peuples indolens, qui sont en outre plongés dans une profonde ignorance. Je ne trouvai dans les ranchos qu’un prétendu savant : il était petit, habillé de noir, avec un chapeau rond et bas qui lui donnait l’air d’un maître d’école; il avait une haute opinion de lui-même et ne doutait pas de son savoir, parce qu’il avait quelques vieux livres français qu’il croyait latins. Il me dit avec orgueil qu’il possédait la Théologie de l’apôtre saint Thomas, Je ne voulus pas lui faire tort dans l’esprit de ceux qui étaient là en lui apprenant que l’apôtre et le théologien étaient deux hommes très distincts; je me contentai de lui demander le livre; il m’apporta un traité de médecine française. C’était là sa Summa theologica. Pourtant le brave homme paraissait de bonne loi; il s’imaginait comprendre ce qu’il ne savait pas même lire.

En fait de médecine, les femmes des ranchos ont une confiance particulière dans les propriétés curatives du lait de chrétienne, comme elles disent. Un jour que je venais administrer les sacremens à une femme frappée d’un coup d’apoplexie, je trouvai près d’elle une autre femme qui se pressait le sein, recueillait le lait dans une cuiller et le versait sur les lèvres de la mourante. Mieux vaut encore le système Raspail, qui est assez répandu dans le pays.

Quant à la religion, les rancheros n’en avaient que des notions vagues et des souvenirs obscurcis. Ils ne connaissaient que deux sacremens, le baptême et le mariage, et encore se passaient-ils trop souvent du second. Le mariage se divisait en deux cérémonies distinctes : l’une n’avait que la valeur de nos fiançailles et s’appelait