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trois cents milles. Je m’embarquai sur le bateau à vapeur le Comanche. Le Rio-Grande fait mille détours; quelquefois, au moment des grandes eaux, les sables déplacés lui tracent un nouveau lit, et les bras qui se détachent ainsi de la rivière deviennent des lacs longs et arrondis, dont l’aspect est souvent gracieux; on les appelle des ressacas. Après deux ou trois jours de navigation à travers une immense et plate vallée, notre bateau vint à s’engraver si bien, qu’aucun effort ne put le dégager. Chacun débarqua et fut obligé de continuer sa route par terre. Cet accident modifia singulièrement mon itinéraire; pour aller à Alamo par terre, je devais faire plus de chemin dans le Mexique que dans le Texas. Cette partie des frontières texiennes est dépourvue de routes; dans le Mexique au contraire, on trouve les anciennes routes espagnoles, de sorte qu’à chaque instant, entre deux ranchos texiens, le chemin le plus court et le seul possible est de traverser le Rio-Grande, de voyager dans le Mexique, puis de traverser encore le fleuve près du rancho où l’on veut arriver. Nous trouvâmes, les autres passagers et moi, des chevaux dans un établissement de commerce américain. J’allais faire encore un de ces voyages à cheval auxquels je m’étais accoutumé durant ma première mission; mais je devais rencontrer moins de fatigues et de dangers.

Nous nous dirigeâmes d’abord sur la bourgade mexicaine de Reynosa. Toutes ces petites villes des frontières offrent peu d’intérêt. L’église de Reynosa est en pierre; c’est un carré long, orné d’une tour carrée. Quelques maisons sont bâties, comme au temps de Fernand Cortez, avec des adaubes, larges briques séchées au soleil; le reste se compose de cabanes faites de roseaux et de branches d’arbres. Nous poursuivîmes notre route malgré un soleil accablant. Le chemin était tantôt bordé d’arbres odorans et de lianes parfumées, tantôt il passait sur une terre aride et nue ou sur des terrains calcaires n’ayant pour toute végétation que des cactus ou des plantes épineuses sans feuilles. Mes compagnons étaient des marchands juifs, méthodistes ou free thinkers (libres penseurs). Je ne pouvais éviter quelqu’une de ces discussions religieuses si aimées en Amérique, mais la chaleur nous rendait si inertes, que le débat ne fut vigoureusement soutenu par personne. Nous soupirions après la fraîcheur du soir. Enfin les arbres se colorèrent d’une teinte rougeâtre, les ombres s’allongèrent vers l’orient, les feuilles se balancèrent mollement sous la brise naissante. Le chant du coq et les mugissemens des troupeaux annoncèrent un rancho. Nous étions à Reynosa-Vieja : c’est une vaste place carrée sur les côtés de laquelle s’alignent les cabanes des principaux habitans. A chaque angle aboutit un chemin tapissé d’une herbe touffue. Les environs sont bien cultivés, et la population de