Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

giques de ses partisans, les électeurs du sud, les hommes de l’esclavage, sont arrivés à un tel point de délire, qu’il est impossible de croire que M. Buchanan président se puisse résoudre à se servir de semblables passions. La presse des états du sud soutient l’esclavage avec un emportement et un cynisme qui déshonorent l’Union américaine. « Société libre ! s’écriait récemment un journal de l’Alabama, organe du parti de M. Buchanan, ces mots seuls nous font mal au cœur ! Qu’est-ce autre chose, une société libre, qu’une agglomération de sales ouvriers et de théoriciens lunatiques ? La classe dominante que l’on rencontre dans une telle société se compose d’ouvriers et de fermiers qui, malgré tous leurs efforts pour s’élever à une certaine politesse, seraient une compagnie à peine décente pour les domestiques d’un gentleman du sud. Voilà la société libre que les hordes du nord cherchent à imposer au Kansas, » Veut-on encore un échantillon de ces sauvages polémiques ? « Nous l’avons souvent demandé au nord, écrivait un journal de la Virginie dévoué à M. Buchanan, l’expérience de la liberté universelle n’a-t-elle pas échoué ? Nous répétons donc que la politique et l’humanité interdisent également que l’on étende les plaies de la société libre à des populations nouvelles et aux générations qui s’élèvent. Deux formes de société différentes ne peuvent exister simultanément entre hommes civilisés. Si la société libre est contre nature, immorale, anti-chrétienne, il faut qu’elle tombe et qu’elle cède à la société à esclaves, système social aussi ancien que le monde, aussi universel que l’humanité. » Un ancien sénateur de la Louisiane, M. Downs, dans un discours publié par un journal de Washington, comparait le sort des ouvriers pauvres du nord au sort des esclaves du sud, et prétendait naturellement que l’esclavage est une condition préférable au paupérisme des pays libres. Aussi ce courageux logicien demandait-il en ces termes que les familles tombées dans la pauvreté fussent admises aux félicités de l’esclavage. « Vendez les chefs de ces familles, disait-il ; que notre législature décide par une loi que quiconque prendra les parens et aura soin d’eux et de leur progéniture, les nourrira, les vêtira et les logera, aura droit à leurs services. Et que la même loi décrète que quiconque aura ainsi acquis ces pauvres gens sera tenu d’en avoir soin tant qu’ils vivront. » Les hommes de notre génération ont été abreuvés de bien des déceptions, nous avons vu dans notre vieille Europe répudier bien des principes qui nous semblaient éternellement acquis à l’honneur et au bonheur de la civilisation ; nous pensions être blasés sur l’insolence des réactions auxquelles notre triste époque est condamnée : nous ne nous attendions pas, nous l’avouons, à voir de, nos jours le parti de l’esclavage passer de la défensive à une offensive effrontée, s’arroger une mission de propagande, faire servir l’idiome même de la liberté, la langue anglaise, à exprimer de tels blasphèmes, et, pour couvrir de tels attentats, arborer le drapeau de la démocratie !

Le monde contemporain mène une existence si prodigieusement active, il marche avec une telle précipitation, qu’on a quelque peine à le suivre, à embrasser ses mouvemens. Sur tous les points à la fois, la vie apparaît dans la variété de ses phénomènes et de ses complications ; des questions de toute sorte se nouent et se dénouent sans cesse ; les intérêts de la diplomatie se mêlent aux révolutions intérieures des peuples. Les affaires de finances, de