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de montrer plus d’esprit que de bon sens et de tact. Si elle était moins gâtée par l’encens qu’on lui prodigue, j’aurais essayé de lui donner quelques conseils... » La dédaigneuse et plaisante naïveté de ces dernières paroles nous aide bien à comprendre ce qu’il faut accepter ou laisser de l’appréciation de Mme de Boufflers. La grande dame du XVIIIe siècle, avec son entêtement et ses préjugés, n’était pas bonne appréciatrice des allures un peu étranges de celle qu’animait déjà l’esprit indépendant d’un temps nouveau.

M. de Staël trouva dans sa jeune femme une spirituelle collaboratrice. Pendant qu’il rédigeait lui-même pour son roi deux correspondances, dont l’une était exclusivement politique et pour les affaires courantes, l’autre toute privée, Mme de Staël prenait aussi la plume et acceptait, cédant aux désirs de Gustave III, exprimés par Mme de Boufflers, la tâche alors agréable et douce, mais bientôt périlleuse et pénible, de rendre un compte exact et régulier de ce qui se passait à la cour, parmi ce monde aimable et léger sur lequel Gustave III avait placé tant d’affections, et qu’une effroyable tempête allait bientôt dissiper. Rédigés de 1786 à 1791, ces Bulletins de nouvelles, comme les appelle Mme de Staël, portent l’empreinte visible des vicissitudes dont ce peu d’années a été le témoin. Les premières pages sont négligemment et légèrement écrites; on y voit le fidèle reflet d’une cour imprudente, aveugle, atteinte d’une incurable vanité de cœur et d’esprit; on y entend les rires et les jeux sur le bord de l’abîme. Puis tout à coup la scène change; au lieu des plaisanteries, des jeux de mots, des anecdotes de tout à l’heure, voici de sinistres présages, de tragiques nouvelles, et, mêlée à ces tristes récits, l’expression des grandes idées d’un autre temps qui commence. Au lieu de la spirituelle et un peu froide narratrice de cour, voici le témoin ému du naufrage où s’agitent les destinées suprêmes d’un père, celles d’une patrie, celles d’un siècle nouveau secrètement attendu, — voici la véritable Mme de Staël.

Laissons-lui désormais la parole, en retranchant seulement de ses premiers Bulletins, écrits au courant de la plume sur des sujets frivoles, quelques répétitions ou quelques négligences. Ces premières pages ne sont qu’une esquisse tracée à la hâte. Cherchons-y la finesse, le trait, quelquefois la satire. Oublions, nous qui savons ce qui suivra, la préoccupation de l’avenir, et prenons plaisir seulement à une correspondance spirituelle, amusante, qui nous montre pendant quelques années encore le calme avant de si grands tumultes, et, chez Mme de Staël elle-même, un agréable enjouement avant l’ardeur et l’entraînement de la passion.

Le dossier d’Upsal donne chaque Bulletin de nouvelles ordinairement précédé d’une lettre d’envoi. Mme de Staël indique bien dans