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Louis XIV, il dut transmettre l’exercice intégral d’une puissance qu’il laissait sans limite à un prince dont son système politique avait concouru à dégrader le caractère, et que les calomnies fort peu blâmées de sa cour avaient transformé en empoisonneur.

Les appréhensions qui conduisirent Louis XIV à rabaisser l’importance des princes du sang ne pouvaient le dominer relativement à ses ministres. Cependant les mêmes tendances et les mêmes dispositions d’esprit se reproduisent visiblement dans le choix des médiocrités complaisantes auxquelles il remit le soin des affaires publiques après que le cours des années lui eut enlevé le grand personnel de gouvernement dont l’avait entouré Mazarin. À Lyonne, à Colbert et au chancelier Le Tellier, on vit succéder Louvois, Seignelay, Le Peletier, Boucherat, qui marquèrent la transition entre les deux parties du règne, entre les jours des triomphes et ceux des grandes calamités. La même observation se présente pour les armées, où l’on voit succéder à Condé et à Turenne des généraux formés à leur école, mais d’un mérite très inférieur, les Luxembourg, les Vendôme, les Villars, les de Lorge, les Créqui, que suivront les Villeroy, les Tallard, les Lafeuillade et les Marchin, appelés à inscrire des noms tristement célèbres à côté de ceux de Crécy et d’Azincourt.

Mais la décadence militaire fut précédée par la décadence politique, comme l’effet l’est toujours par la cause. Le roi avait éprouvé une satisfaction sur laquelle concordent tous les historiens en voyant mourir subitement le marquis de Louvois, dont l’importance personnelle était quelquefois une gêne et toujours une souffrance pour le monarque. Sans regarder comme prouvé avec Saint-Simon qu’un ordre fût déjà signé pour le conduire à la Bastille et pour lui préparer le sort de Fouquet, il n’est pas contestable que Louvois mourut à la veille d’une disgrâce et détesté de son maître. Chamillart inspirait de tout autres sentimens. Son adresse au billard avait appelé depuis longtemps sur lui l’attention de Louis XIV, et au sein des plus redoutables complications extérieures il fut choisi comme un instrument honnête et docile, qui recevrait l’impulsion du prince sans prétendre jamais imprimer la sienne. Après que Chamillart a disparu non sous le poids de ses fautes, mais sous une intrigue de la duchesse de Bourgogne et de Mme de Maintenon, celle-ci pousse au ministère de la guerre Voysin, intendant de province que les empressemens de sa femme ont recommandé à l’épouse du monarque durant un voyage en Flandre. Desmarets, naguère flétri pour son improbité, occupe le ministère des finances, car dans les situations extrêmes il faut des hommes compromis ; enfin Pontchartrain fils tient le portefeuille de la marine et ne résiste que par une complaisance sans limite à une réprobation universelle.

Tels furent les hommes entre les mains desquels vint s’achever