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cinquante ans se sont laissé mener eux-mêmes comme des esclaves avec cette terreur superstitieuse, commencent à se lasser de leur servitude.

Pour la première fois, l’élection présidentielle va être débattue sur le terrain de l’abolitionisme. Cette lutte fatale, dans le sens ancien du mot, que les premiers citoyens de l’Union avaient toujours voulu éviter, devant laquelle ils avaient toujours reculé et qu’ils avaient réussi à ajourner de transaction en transaction, devra finir par éclater. Magna est veritas, et prœvalebit. Il lui faudra du temps néanmoins ; ce n’est pas aujourd’hui, ce n’est pas demain que la justice prévaudra. Selon toute apparence, il y aura encore des transactions, ce qu’on appelle dans la langue du pays des compromis. Les états du sud, c’est-à-dire les états à esclaves, ne sont rien par le nombre ; il y a aux États-Unis vingt-six millions d’habitans, et quelque chose comme un demi-million de propriétaires d’esclaves. Leur force n’est donc pas là ; elle est dans la terreur qu’inspire à tout patriote américain l’idée d’une séparation de la république en deux. Les hommes du sud savent cela ; ils exercent sur la majorité l’empire que peut exercer sur tout l’équipage d’un vaisseau un seul homme assis sur la soute aux poudres avec une allumette. Il est bien vrai que si l’Union se coupait en deux, et si les cinq cent mille blancs qui règnent sur plus de trois millions d’esclaves étaient réduits à leurs seules forces, le sud serait la première victime immolée sur l’autel de la vengeance ; mais le nord en éprouverait aussi une secousse terrible. À part même la question patriotique et politique, la question d’intérêt y est aussi pour beaucoup. L’industrie du nord est alimentée par le coton du sud, et en même temps toutes les industries du sud, les chemins de fer, les navires, les améliorations des terres, tout est fait avec le capital des hommes du nord, qui seuls sont laborieux et producteurs. Le sud joue donc une partie de lansquenet dans laquelle est engagée non-seulement sa propre fortune, mais aussi la moitié de celle de ses voisins, et il a l’avantage qu’ont dans une société régulière les individus toujours prêts à se casser le cou.

Jusqu’à présent, tous les compromis ont été faits par les états libres. Les états à esclaves ne veulent jamais transiger, et ils ont raison au point de vue de la logique et de l’intérêt. Il n’y a pas de réforme possible dans l’esclavage ; la seule, c’est la fin, c’est la mort ; il n’y a pas de milieu entre l’esclavage tel qu’il est et l’abolition complète. Il en est des états à esclaves comme de certains états d’Europe, d’Italie, par exemple ; leur demander de se réformer, c’est leur demander de se tuer. Sans doute, les choses humaines ne se gouvernent pas avec l’absolu, mais aussi il y a des vérités absolues avec lesquelles il n’y a point de transaction imaginable. L’esclavage est