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C’est dans cette attitude méditative que la trouvèrent Paul et sa fille, rassérénés eux-mêmes par quelques instans de marche à travers la campagne silencieuse. Presqu’au moment d’entrer dans l’enclos, Lisaveta se tourna vers son père et lui demanda la permission de parler à sa marraine sans témoins. Le vieillard croyait qu’en ce moment le ciel inspirait sa fille; il n’eut garde de refuser, et resta assis sur le gazon de la forêt, tandis que Lisaveta entrait chez la recluse. Au bout d’une demi-heure, la jeune femme vint retrouver son père. La recluse priait Paul de venir chez elle le lendemain après la messe : elle voulait passer la nuit en méditation avant de lui donner un conseil.

Le lendemain, Paul se trouva au rendez-vous indiqué. La conversation entre le starovère et la recluse fut longue. Les principes de Nastasia n’étaient ni moins précis ni moins austères que ceux du vieillard, mais une ardente charité les tempérait. — Ce n’était pas la solitude, c’était le travail qu’il fallait à sa filleule, dit-elle, et par travail elle entendait celui qui fatigue le corps et repose l’esprit. — Toi aussi, dit-elle gravement à Paul, toi aussi tu as commis des fautes, et c’est également par le travail qu’il faut les effacer. Ta fille a péché par ignorance et faiblesse, tu as péché envers elle par négligence en la livrant seule et sans guide aux tentations d’une grande ville; tu as péché envers ton prochain par orgueil, tu as péché envers Dieu par la révolte et le murmure. Paul-le-Sévère, sache mériter un autre nom. Puisse-t-on un jour t’appeler Paul-le-Miséricordieux! Pars, rends-toi à Saint-Pétersbourg, vends ta boutique pour te préparer à reprendre la vie laborieuse du paysan, humilie-toi devant tes frères. Quant à Lisaveta, je la prends chez moi, non comme la fille d’un riche marchand, mais comme une servante. Je me réserve de fixer le terme de ton retour, et je veux que tu trouves l’expiation accomplie.

Ainsi fut fait. Au bout de quelques jours, le vieillard avait quitté Staradoub après avoir franchement et ouvertement exposé les motifs de son départ aux anciens du village. Sa fille en même temps s’installait chez sa marraine et commençait vaillamment l’apprentissage d’une vie nouvelle.

Que se passait-il cependant au gostinoï-dvor de Saint-Pétersbourg, dont le vieux starovère avait repris le chemin? Ai-je besoin de dire que Savelief était plus triste que jamais? Son unique joie était de procurer quelques distractions au frère chéri de sa bien-aimée. Le dimanche, il louait une petite embarcation et remontait avec son élève le cours de la Neva jusqu’au-delà des fabriques d’Alexandrofski. Dès qu’ils avaient atteint quelque plage solitaire, où l’enfant pouvait courir et sauter, ils débarquaient. Puis, pendant que Micha prenait ses