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— Cette vieille histoire?

— Une histoire toujours neuve, tant qu’il y aura des séducteurs pour tromper les jeunes filles.

— Je te comprends, frère; mais tu ferais mieux de lire autre chose que de revenir sans cesse sur un malheur auquel tu ne peux porter remède.

En ce moment, un charmant petit lutin en cheveux blonds accourut tout essoufflé, et, se hissant sur la pointe des pieds jusqu’à l’oreille de Savelief, il lui dit : — Elle arrive! elle arrive! Vois-tu son traîneau ? Il va s’arrêter devant nous.

Un élégant équipage arrivait en effet, attelé de deux chevaux lancés au trot qui, retenus devant la boutique par le poignet vigoureux du cocher, s’arrêtèrent en piaffant et en soulevant des tourbillons de neige. Le voisin de Savelief s’éloigna discrètement. Une jeune femme sortit du traîneau. Elle était enveloppée d’une pelisse doublée de magnifiques fourrures, et sa toilette eût été irréprochable, si quelques détails, entre autres un chapeau trop chargé de plumes, n’eussent accusé un luxe quelque peu déplacé à cette heure matinale. La jeune femme entra précipitamment dans la boutique et se jeta sur le banc que Savelief venait de quitter. Le petit garçon la regardait d’un air curieux et timide, la main dans celle du sidélelz, qui, les yeux baissés et fronçant les sourcils, se tenait droit devant elle.

— Micha, Micha, dit-elle en relevant son voile et en tendant les bras à l’enfant, ne reconnais-tu pas ta sœur Lisaveta?

D’un bond, l’enfant fut dans ses bras : elle le dévora de caresses et baisa ses boucles blondes en les arrosant de larmes, puis, tirant de son manchon un élégant cornet, elle versa les bonbons qu’il contenait dans le pan du caftan de Micha; mais l’enfant semblait regarder ces friandises avec plus de curiosité que d’envie. — C’est très beau, sœur, dit-il, mais j’aime mieux les coqs et les poules en pain d’épice qu’on vend là au coin; cela me rappelle les pains d’épice de Staradoub.

— Tu aimes donc bien ton village? dit en pleurant Lisaveta. Oh! oui, aime-le, pense à Staradoub. Pourquoi l’avons-nous quitté? Eh bien! voici de l’argent, achète ce qui te plaît.

Elle avait mis une pièce d’or dans la main de l’enfant. — De l’or! dit Micha à Savelief; vois, ma sœur Lisaveta m’a donné de l’or.

— Tu ne dois prendre ni or ni argent de qui que ce soit, répondit gravement Savelief, et l’enfant remit à contre-cœur la brillante pièce dans la bourse de sa sœur, qui baissa la tête,

— Je comprends, dit Lisaveta en étouffant un sanglot, c’est de moi que Micha ne doit rien recevoir; mais réponds, Savelief, comment se porte mon père? Est-il toujours inexorable?

— Votre père, Lisaveta, est un homme de l’ancienne foi; vous