Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gauche et à la parole embarrassée, sans cesse entouré d’un essaim de jolies femmes et en butte à toutes leurs cajoleries. Il n’était point de souper fin ni de fête sans lui. « Toutes les jolies femmes, écrit Grimm, se le sont arraché, et le gros philosophe écossais s’est plu dans leur société. C’est un excellent homme que David Hume! Il est naturellement serein, il entend finement, il dit quelquefois avec sel, quoiqu’il parle généralement assez peu; mais il est lourd, et n’a ni chaleur, ni grâce, ni agrément dans l’esprit, ni rien qui soit propre à s’allier au ramage de ces charmantes petites machines qu’on appelle jolies femmes. Oh ! que nous sommes un drôle de peuple! »

Au milieu du tourbillon qui l’emportait, Hume se sentit d’abord dépaysé. « Je suis venu ici trop tard, écrivait-il à ses amis, et je ne suis point à ma place. » Et il se prit à regretter deux ou trois fois par jour son fauteuil et sa maison de James’s Court; mais comme la louange est douce, même aux philosophes, il se fit assez vite à ce perpétuel tribut d’hommages-. Il se laissa aller à toutes les séductions qui naissaient sous ses pas, et quand il se fut un peu reconnu, surtout quand il eut retrouvé son français, il se mit à aimer la vie parisienne, qui pour lui n’avait aucune épine; il rêva même par momens de demeurer en France après l’expiration de ses fonctions et de s’y établir. Qu’on ne croie pas cependant que son calme bon sens ait cédé un instant à l’enivrement de la vogue, ni qu’il ait pris plus au sérieux qu’il ne convenait l’engouement dont il était l’objet : il était le premier à plaisanter de ses succès mondains; le commerce des gens de lettres demeura toujours pour lui le principal attrait de Paris. Ceux dont il aimait le mieux la personne et la conversation étaient d’Alembert, Buffon, Marmontel, Diderot, Duclos, Helvétius et le vieux président Hénault; mais il ne se lia d’amitié qu’avec d’Alembert et Turgot. En outre, au milieu des dissipations de la cour ou des exigences de la vie officielle, à Fontainebleau, à Versailles ou à Compiègne, sa correspondance nous le montre toujours fidèle à ses vieilles amitiés, toujours dévoué et toujours serviable, dirigeant de Paris l’éducation de ses neveux, cherchant un traducteur à Robertson ou une pension pour les fils de Gilbert Elliot, accablé de commissions de toute l’Ecosse, ne s’en plaignant jamais, et trouvant du temps pour suffire à tout sans négliger ses fonctions. Il importe en effet de constater, à l’honneur de Hume, que par son application, son tact et sa capacité il justifia complètement le choix de lord Hertford; c’était lui qui conduisait toutes les affaires de l’ambassade, qui écrivait toutes les dépêches et tous les rapports. Il se rendit si utile, que le marquis n’eut point de cesse qu’il n’eût obtenu pour Hume le titre et le rang de secrétaire d’ambassade, avec l’assurance d’une pension viagère de 400 livres. Quand lord Hertford fut appelé en 1765 à la vice-royauté d’Irlande, le gouvernement anglais laissa