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caire, et c’est en faisant une bonne action qu’il réussit à concilier l’amour des livres et les exigences d’une légitime fierté.


III.

Hume avait terminé tous les travaux qu’il avait entrepris, et cependant la tranquillité et le loisir dont il jouissait, les encouragemens de ses amis, le progrès de sa réputation, enfin ses habitudes laborieuses, tout l’invitait à écrire encore. Plus d’une fois dans sa jeunesse, il avait nourri l’idée de composer quelque grand ouvrage historique : cette pensée lui revint à la vue des ressources considérables que lui offrait pour un travail de ce genre la bibliothèque dont il était le gardien, et la tentation fut d’autant plus irrésistible qu’il n’y avait pas sur le Parnasse anglais, pour employer les expressions de Hume lui-même, de place plus évidemment vacante que celle d’historien. Prendre cette place vacante, doter la littérature de son pays d’un genre d’ouvrage qui lui manquait entièrement et s’assurer dans l’histoire le premier rang, qu’il n’avait pu atteindre dans la philosophie, tel fut le rêve caressé par Hume. Quant à un sujet, aucun pour la nouveauté et pour l’intérêt ne pouvait rivaliser avec l’histoire nationale. Ce fut donc à écrire l’histoire d’Angleterre que Hume s’arrêta : seulement quelle période de cette histoire fallait-il prendre pour point de départ ? Contre l’avis d’Adam Smith, Hume se décida pour l’époque des Stuarts. « J’ai commencé par être de votre avis, écrivait-il à Smith, et par croire que la période la plus avantageuse à prendre pour point de départ était l’avénement des Tudors avec Henri VII ; mais vous remarquerez que le changement qui s’accomplit alors dans les affaires publiques fut très peu sensible, et que l’influence ne s’en fit voir que bien des années plus tard. C’est sous Jacques Ier’que les communes commencèrent à lever la tête, et que s’engagea la lutte entre les privilèges des sujets et la prérogative royale. Le gouvernement, sur lequel ne pesait plus l’énorme autorité de la couronne, montra son vrai caractère, et les factions qui naquirent alors, et dont l’influence se fait encore sentir actuellement, rendent cette période la portion la plus curieuse, la plus intéressante et la plus instructive de notre histoire. Ce sujet me paraît très beau, et je l’embrasse avec beaucoup d’ardeur et de plaisir. »

Hume distribua d’avance sa matière en trois volumes : un pour les deux premiers Stuarts, un pour la république et la restauration, le troisième pour les règnes de Guillaume et d’Anne. Il ne lui semblait pas prudent de descendre plus bas que l’avènement de la maison de Hanovre, et de retracer des luttes dont le souvenir était brûlant