Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

actuelle, arrivé à la dignité de maître de maison. Il y a environ sept mois, j’ai pris une maison à moi, et j’y ai installé une famille au grand complet, composée d’un chef qui est moi, et de deux membres subalternes, une bonne et un chat. Ma sœur est venue depuis me rejoindre et demeure avec moi. Avec de l’économie, je trouve que je puis me donner la propreté, la chaleur, la lumière, l’abondance et le contentement. Que voudriez-vous avoir de plus? L’indépendance? Je l’ai au suprême degré. L’honneur? Ce n’est pas là ce qui manque. La grâce? Elle viendra en son temps. Une femme? Ce n’est pas là une des nécessités indispensables de la vie. Des livres? Voilà une de ces nécessités; mais j’en ai plus que je n’en puis employer. Bref, je ne puis trouver aucune des jouissances importantes de la vie que je ne possède plus ou moins, et sans grand effort de philosophie je puis être heureux et satisfait. »

A peine Hume était-il fixé à Edimbourg, qu’un petit succès vint lui procurer une des plus vives satisfactions de sa vie et décida du reste de sa carrière littéraire. Le bibliothécaire de l’ordre des avocats résigna ses fonctions, qui étaient électives; les amis de Hume mirent aussitôt sa candidature en avant. Ln pareil choix fit jeter les hauts cris à une partie du clergé qui suscita un concurrent au philosophe; mais malgré tous les efforts des intolérans et après une lutte qui passionna et divisa la ville. Hume fut élu. Dans ses mémoires, il se félicite de cette élection, parce qu’elle mit à sa disposition une riche bibliothèque. « Quant aux appointemens, ajoute-t-il, je n’en recevais que peu ou point. » Les appointemens étaient de 50 livres sterling, c’est-à-dire qu’ils égalaient le revenu personnel de Hume; mais sa modestie lui a fait taire le motif très honorable pour lequel il ne les toucha pas. Au nombre des administrateurs de la bibliothèque se trouvaient des membres de la faculté qui avaient combattu la candidature de Hume, et dont le dépit se traduisit bientôt par de mauvais procédés. Le philosophe fut sur le point de donner sa démission, mais il lui coûtait de renoncer aux facilités de travail que lui procuraient ses fonctions; d’un autre côté, il ne voulait pas que sa persistance pût être attribuée à l’intérêt : il résolut de garder la place en renonçant aux émolumens. Il y avait alors à Edimbourg un aveugle nommé Blacklock qui, à force de persévérance, de courage et de privations, était arrivé à acquérir la connaissance approfondie des langues anciennes et une instruction aussi solide que variée. Blacklock montrait un talent assez remarquable pour la poésie : Hume s’était intéressé à lui, l’avait aidé de ses conseils et de sa bourse, lui avait trouvé un éditeur pour ses vers, avait provoqué des souscriptions en sa faveur, sans réussir à lui assurer des moyens réguliers d’existence. Il abandonna au poète aveugle son traitement de bibliothé-