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I. — M. DE STAËL. — DIPLOMATIE ET MARIAGE.

La famille des Staël von Holstein paraît pour la première fois dans l’histoire de la Suède au milieu du XVIIe siècle. D’origine westphalienne, elle se distingue d’abord en même temps dans le commerce et les armes, et se répand par toute l’Allemagne du nord jusqu’en Livonie, en Esthonie et en Courlande. Elle pénètre dans les provinces suédoises du sud de la Baltique, puis en Suède même, où elle est enfin naturalisée et acquiert des titres de noblesse. Otto Wilhelm Staël, officier dans l’armée suédoise, est élevé, en 1719, à la baronie et prend le nom de von Holstein. Son père avait été tué en duel. Un duel aussi rend célèbre son frère Jacques, qui se bat contre le fameux amiral danois Tordenskiold et le tue. Voici à la suite de quelle aventure : Staël avait hérité du fameux Kœnigsmark un serpent à sept têtes[1], un de ces nombreux et bizarres trophées qu’avaient valus aux capitaines suédois la guerre de trente ans, le pillage de la Bohême et celui de Prague en particulier. Un soir, à Hanovre, deux personnes se présentent chez Staël, un docteur et un jeune Danois qui accompagnait en Allemagne l’illustre amiral Tordenskiold; elles demandent à voir le serpent à sept têtes. En attendant l’exhibition, qui se fait attendre, on se met au jeu. Staël a sans cesse la veine heureuse; le docteur et son compagnon perdent de grosses sommes; un des joueurs n’a pas de quoi payer sur l’heure, demande jusqu’au lendemain et ne reparaît pas. Sur ce texte, on bâtit dans la ville une histoire : Staël a trompé au jeu, dit-on, et le protégé de l’amiral a été volé de 27,000 écus. Tordenskiold le croit. Peu de temps après, le 9 novembre 1720, il rencontre Staël dans un salon, s’approche du groupe où celui-ci s’est placé, prend part à la conversation, et tout à coup, se tournant vers lui, « je connais quelqu’un, dit-il, qui vient de payer 27,000 écus la vue d’un serpent à sept têtes; ne trouvez-vous pas cela bien cher, messieurs?... — A qui en avez-vous? demande Staël, qui se sent blessé. — Aux fourbes de profession, répond l’impétueux Danois, à ceux qui soutirent l’argent des pauvres joueurs et qu’on devrait mettre à la porte de chez soi! » Les deux adversaires sortent à l’instant; quelques nouvelles paroles amènent des coups de canne; une rencontre a lieu: Tordenskiold est tué aux premiers coups; Staël prend la fuite, poursuivi par les paysans à coups de bâtons et à coups de pierres. On a dit que le duel n’avait pas été loyal, et le poète danois OEhlenschlaeger a suivi cette tradition dans sa tragédie de Tordenskiold; mais la

  1. Probablement quelque monstre empaillé.