Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

célébrer des victoires qu’il avait remportées, à la manière d’Auguste, par procuration; c’étaient les victoires de Germanicus qui avaient vengé sur les Germains le désastre de Varus, une des grandes éclipses de la gloire de Rome, un nuage dans la splendeur du siècle d’Auguste. Tibère avait sans doute un droit plus personnel à son autre arc de triomphe, et il y eut dans sa vie militaire de quoi le mériter. Arrivé tard à l’empire, Tibère avait conduit longtemps avec honneur les armées romaines contre les peuples de la Germanie, aïeux des destructeurs futurs de Rome, et qui déjà inquiétaient l’Italie. Auguste craignit pour elle après la défaite de Varus. Tibère eut à lutter contre une ligue puissante, que Velleius Paterculus, exagérant peut-être, évalue à huit cent mille hommes. L’historien aussi parle des craintes que l’on conçut pour l’Italie; il n’y avait peut-être pas eu pour elle de plus formidable péril depuis l’irruption des Cimbres et des Teutons. Ainsi commençaient avec l’empire la menace et la terreur de l’invasion barbare; les peuples destinés à le détruire préparaient sa ruine. Libres, les Romains avaient asservi le monde; déjà le monde était vengé par leur servitude, en attendant qu’il le fût tout à fait par l’envahissement qu’elle devait amener.

Une autre différence entre Auguste et Tibère, c’est que le second a commencé comme le premier a fini et a fini comme son prédécesseur avait commencé. Sans doute il vaut mieux se convertir que se pervertir, mais il semble aussi que le vrai caractère des hommes se montre dans leurs commencemens. Octave crut devoir s’amender en vieillissant; Tibère fut pendant cinquante ans un prince honnête que le pouvoir absolu déprava : on peut choisir. Sauf cette différence, qui est une affaire de dates, l’un a été cruel avant, l’autre après; rien ne me paraît plus analogue au fond que l’âme de ces deux hommes. Tibère eut en partie les qualités qu’on a célébrées chez Auguste, et qui ne suffisent pas pour l’absoudre. Lui aussi aimait les lettres à sa manière. Avant d’être un vieillard monstre, il avait été un enfant prodige, et à l’âge de neuf ans il avait prononcé un discours en l’honneur de son père. Il faisait des vers latins et grecs; il composa une élégie sur la mort de Lucius César, un des petits-fils d’Auguste, objet de sa jalousie et de ses craintes. Le mensonge, qui était son âme, fut sa muse. La poésie de Tibère ne valait probablement pas celle d’Auguste, car il prenait ses modèles chez les poètes alexandrins. Sa prose était affectée. « L’obscurité, dit Suétone, assombrissait son style; affectatione et morositate mmiâ obscurabat stylum. » Son langage était enveloppé comme ses desseins et morose comme son âme. Tibère était pédant, ce que n’était point Auguste. Il s’excusa un jour de se servir du mot grec monopole. Autour de lui, on ne rencontre point d’Horace ou de Virgile, mais des rhéteurs