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allemand est très manifeste. Que peut être cet Allemand, s’il n’est Arminius ?

Tous ceux qui ont été à Rome connaissent la belle statue, si souvent reproduite, d’Agrippine assise. C’est l’Agrippine épouse de Germanicus, la mère de celle qui donna le jour à Néron. Je laisse ici parler M. Braun, car je ne saurais mieux rendre l’impression que j’ai ressentie. La comparant à une autre statue d’Agrippine, qui la représente dans les jours de sa splendeur à côté de son glorieux époux, « là, dit-il, nous voyons la mère des camps, comme les légions romaines avaient coutume de l’appeler, cette femme résolue, héroïque, qui se plaça en face des soldats fuyant devant les Germains et les força de s’arrêter. Ici, au contraire, nous la contemplons telle que nous pouvons nous la figurer après la mort de Germanicus. Elle semble mise aux fers par le destin, mais sans pouvoir encore renoncer aux pensées superbes dont son âme était remplie aux jours de son bonheur. »

L’énergie assez sombre de la physionomie d’Agrippine convient bien à son naturel altier et violent. Fille d’Agrippa, elle a conservé dans les traits quelque chose de l’air farouche de son père, mais elle n’en eut pas l’âme souple et l’humeur complaisante. Elle montra toujours un caractère ferme et indomptable, pervicax iræ, a dit Tacite ; elle était fière et ambitieuse. Tibère lui disait : « Ma fille, tu te plains toujours, si tu ne règnes pas. » C’est le mot que Racine a fait adresser par Néron à l’autre Agrippine :

Mais si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours.


Jamais en effet statue d’impératrice n’eut l’air plus majestueux et plus dominateur que celle-ci. Agrippine fut magnifique dans son deuil de Germanicus, quand on la vit rapporter les cendres de son époux et s’avancer à travers le Champ-de-Mars, tenant l’urne funèbre, vers la sépulture impériale, où elle la déposa. On n’a pas trouvé dans le mausolée d’Auguste les cippes qui indiquaient la crémation de Germanicus, ou celle de ses deux jeunes fils, Drusus et Néron, que Tibère avait fait mourir de faim après les avoir déclarés ennemis publics. Pourquoi épargna-t-il le troisième, qui s’appelait déjà Caligula ?

Dans la cour du Capitole, on remarque une pierre carrée sur laquelle sont sculptées des armoiries du moyen âge ; elle est creuse et a servi, il y a quelques siècles, d’étalon pour la mesure légale du grain. Les armoiries sont celles d’un sénateur de la Rome moderne. Cette pierre a porté l’urne funèbre ou a contenu les cendres de l’épouse de Germanicus : c’est ce qu’apprend une inscription qu’on lit encore. Tibère avait ordonné que les restes d’Agrippine fussent