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aux yeux la configuration quadrangulaire d’un camp romain. En suivant l’enceinte de Rome, quand on arrive à l’endroit où elle se continue par le mur du Camp des Prétoriens, on est frappé de la supériorité de construction que présente celui-ci. La partie des murs d’Honorius qui est voisine a été refaite au VIIIe siècle. Le commencement et la fin de l’empire se touchent. On peut apprécier d’un coup d’œil l’état de la civilisation aux deux époques : voilà ce qu’on faisait dans le premier siècle et voilà ce qu’on faisait au VIIIe, après la conquête de l’empire romain par les Barbares. Il faut songer toutefois que cette époque où l’on construisait si bien a amené celle où l’on ne savait plus construire. L’empire qu’avait rêvé César, qu’Auguste établit, que Tibère constitua, était une institution qui, en anéantissant tout ressort moral dans les âmes, en éteignant toute énergie dans les populations asservies, devait préparer et enfin amener l’avènement des Barbares : Tibère tendait la main à Genseric.

Ce camp romain est le mieux conservé de ceux qui nous restent, et peut mieux que nul autre donner une idée de la cité guerrière que les légions emportaient partout avec elles. On aperçoit encore en dedans du mur d’enceinte un assez grand nombre de petites chambres dont les parois sont couvertes de plusieurs couches de stuc successivement superposées, et qui furent ornées de peintures. La disposition du camp montre dans quelle intention il avait été construit; la porte prétorienne, toujours tournée vers l’ennemi, est tournée vers la ville : l’ennemi contre lequel Séjan voulait se défendre, c’était le sénat. Le successeur d’Auguste pensait de même, quand il montra les exercices des prétoriens aux sénateurs pour les effrayer. Tibère se plaisait d’ailleurs aux jeux militaires des soldats. Il y prit part peu de jours avant sa mort; il voulait, en amusant ainsi cette plèbe armée, la détourner de jouer au jeu sanglant de l’empire. On voit encore assez près du Camp des Prétoriens un amphithéâtre destiné aux plaisirs des soldats, et qui fut construit peut-être au temps de Tibère.

Deux endroits à Rome rappellent la mémoire de Séjan : le Camp des Prétoriens, fondé par lui dans un rêve d’ambition, et les Gémonies, où vint aboutir ce rêve. Les Gémonies étaient, comme on sait, un escalier de la prison Marner tine, placé à peu près là où est la rampe par laquelle on monte aujourd’hui du Forum au Capitole. De cet escalier on précipitait les corps de ceux qu’on avait mis à mort dans la prison, et on les laissait gisans et exposés à tous les outrages. Le cadavre de Séjan, traîné par le croc du bourreau, descendit ignominieusement ces degrés, voisins de ceux par où Séjan avait espéré monter au Capitole. Rassemblé tout à côté dans le temple de la Concorde, le sénat le condamna au supplice, comme au même