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ment de ce côté. Une seule chose est certaine, c’est que ces trois colonnes datent du meilleur temps de l’architecture romaine.

Le temple de la Concorde, fondé par Camille à l’occasion de la réconciliation des patriciens et des plébéiens, bien qu’au temps de Tibère on dût le rebâtir, avait duré plus que cette réconciliation, trêve passagère à une lutte incessante qui faisait le péril et la grandeur de l’état. Sous Tibère, cette lutte n’existait plus. La concorde à laquelle il dédiait le temple qu’il relevait, c’était l’accord dans la servitude. Le peuple et le sénat ne se querellaient point alors, ils se donnaient la main sous les pieds de Tibère; ils s’embrassaient comme deux cadavres s’embrassent dans la mort, sur un champ de bataille, lieu d’une commune défaite. Du reste, ce temple était d’une grande beauté. On en peut juger par de magnifiques parties de l’entablement conservées aujourd’hui dans le Tabularium, dont on a eu l’heureuse idée, le rendant ainsi à sa destination primitive un peu modifiée, de faire le dépôt et comme les archives de l’art romain. On voit aussi sous le portique du musée Capitolin des bases de colonnes du temple de la Concorde d’un travail exquis. En regard de la frise du temple de la Concorde, on a placé dans le Tabularium une frise du temple de Vespasien. La différence qui existe entre les deux est sensible. L’architecture était encore belle sous Domitien, à l’époque où l’on achevait de bâtir le Colysée ; mais les ornemens, tout admirables qu’ils sont, ont je ne sais quoi de moins large et de moins grand : c’est le style de Juvénal au lieu de celui de Virgile, c’est la prose de Pline le Jeune au lieu de la prose de Tite-Live.

Nous sommes encore sous Auguste, et cependant nous en sommes déjà à Tibère; nous trouvons tout d’abord un exemple de sa dissimulation, héritage d’Auguste. Tibère haïssait son frère Drusus, dont la popularité excitait sa jalousie; mais, en dédiant le temple de la Concorde, il eut soin d’y placer le nom de ce frère à côté du sien[1] : hommage à une concorde fraternelle aussi menteuse que celle des ordres de l’état était dérisoire. En somme, Tibère a peu construit. Avant d’être empereur, il attacha son nom à quelques édifices pour plaire à Auguste. Nous avons vu que plusieurs grands personnages, Agrippa, Balbus, Statilius Taurus, avaient employé ce moyen de lui être agréable. Tibère les imita : mais, une fois arrivé à l’empire, ce prince, qui ne faisait rien d’inutile, et qui, dans son humeur dédaigneuse et mélancolique, ne visait pas à la gloire, n’entreprit qu’un très petit nombre de constructions considérables. Pourtant il ne négligea pas de refaire et d’agrandir la prison Mamertine; ce genre de monument ne pouvait le trouver indifférent. Il avait commencé à réparer le théâtre de Pompée, et, de concert avec Livie, à élever un

  1. Tibère avait fait de même lorsqu’il avait dédié le temple de Castor et Pollux.