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d’Auguste, si ce n’est peut-être Mécène, et ils ont beaucoup concouru à répandre sur le nom du premier cette faveur que, par un sentiment analogue, Horace et Virgile lui avaient prodiguée ; mais le bon sens fin et moqueur de l’Arioste ne s’y est pas laissé tromper. « Auguste ne fut pas si saint et si débonnaire que le chante la trompette de Virgile, qui lui pardonna les proscriptions parce qu’il se connaissait en poésie. »

Machiavel n’écrivait pas toujours le Prince. Dans ses patriotiques dialogues sur l’art de la guerre, il reconnaît « qu’Auguste et Tibère (il les nomme ensemble), plus jaloux de leur propre autorité que du bien de l’état, commencèrent à désarmer le peuple, afin de pouvoir l’asservir plus facilement. »

Montaigne, cet esprit si libre de sa nature, mais en même temps si nourri de l’antiquité, et en morale quelquefois trop dominé par elle, Montaigne, devant la glorification que l’antiquité a faite d’Auguste, hésite et ne voit pas nettement, ainsi que l’ont fait depuis Gibbon, Montesquieu et Voltaire, dans l’hypocrisie le mot de son règne. Parlant de ceux qui vont « rangeant et interprétant toutes les actions d’un personnage, et, s’ils ne les peuvent assez tordre, les renvoient à dissimulation, » il s’écrie : « Auguste leur est échappé ! » N’en déplaise à Montaigne, il ne faut point tordre les actions d’Auguste pour les renvoyer à dissimulation.

Au XVIIe siècle autant qu’au XVIe, la protection accordée aux lettres par Auguste était un puissant motif d’admiration. Les écrivains français, en présence d’un despotisme glorieux exercé d’abord par Richelieu, puis par Louis XIV, ne pouvaient guère être bien rigoureux pour le despotisme ; ce fut l’âge d’or de la renommée d’Auguste. Le XVIIIe siècle a été plus sévère à cette mémoire, et il faut lui en savoir gré, car, pour la plupart des hommes de ce temps, avoir aimé et favorisé les lettres était un bien grand mérite ; mais ils regardaient hardiment le passé, et les préjugés établis ne leur imposaient pas, heureux quand ils n’étaient pas aveuglés par des préjugés contraires !

Le génie clairvoyant de Montesquieu ne s’y est pas trompé ; il a dit rudement : « Auguste, rusé tyran, conduisit les Romains à la servitude. » Il ajoute avec profondeur : « Il n’est pas impossible que les choses qui le déshonorèrent le plus aient été celles qui le servirent le mieux. S’il avait montré d’abord une grande âme, tout le monde se serait méfié de lui… Auguste, c’est le nom que la flatterie donna à Octave, établit l’ordre, c’est-à-dire une servitude durable, car dans un état libre où l’on vient d’usurper la souveraineté, on appelle règle tout ce qui peut fonder l’autorité sans bornes, et on nomme trouble, dissension, mauvais gouvernement, tout ce qui peut main tenir l’honnête liberté des sujets. »

Gibbon aussi a traité la mémoire d’Auguste comme elle le mérite ;