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d’évidence dans les signes de la force ne leur déplairait pas. Agiraient-ils plus sagement en gardant le silence, en cachant les doutes qu’ils ont conçus ? A mon avis, ils font très bien de dire ce qu’ils pensent. Puisqu’ils croient avoir raison, pourquoi ne chercheraient-ils pas à éclairer ceux qui leur paraissent se tromper ?

Le groupe de Laocoon trouvé dans les thermes de Titus est sans doute une réplique aussi bien que l’Apollon Pythien ; mais son origine grecque ne saurait être contestée, car il porte sur la plinthe une triple signature qui ne permet aucune hésitation. Les archéologues le considèrent avec raison comme un des ouvrages les plus importans que l’antiquité nous ait laissés. On peut l’envisager sous deux aspects comme toutes les compositions vraiment dignes d’étude, l’expression et la forme. Pour déterminer la valeur de l’expression, la méthode la plus sûre est de comparer le marbre du Vatican au récit de Virgile. Si l’on prend les vers du poète de Mantoue pour l’image fidèle d’un fait réel, et si l’on cherche dans le marbre les tortures de Laocoon telles qu’elles sont racontées dans le second livre de l’Enéide, on éprouve un singulier désappointement. Il est évident en effet que le groupe ne s’accorde pas avec le récit, et ne produit pas dans notre âme une impression aussi pathétique. Est-ce une raison suffisante pour condamner le groupe et affirmer que le statuaire est demeuré au-dessous de la tâche qui lui était imposée ? Je suis très loin de le penser, et tous ceux qui ont réfléchi sur les conditions que ne doivent jamais oublier les arts du dessin se rangeront à mon avis. La sculpture et la peinture ne peuvent choisir qu’un moment dans une action donnée ; la poésie pouvait embrasser tous les épisodes dont cette action se compose. Il n’est donc pas étonnant que l’artiste grec n’ait pas cherché à exprimer toutes les tortures racontées dans le second livre de l’Enéide. Ce n’est pas tout : après avoir choisi un moment à l’exclusion de tous les autres, le sculpteur est obligé de supprimer, ou du moins de modifier tout ce qui dans le moment choisi par lui pourrait déplaire aux yeux et présenter un aspect dépourvu d’harmonie. Je conçois donc sans peine que le groupe du Vatican n’offre pas à nos regards les dragons de Ténédos dominant de leurs têtes le visage épouvanté du prêtre de Neptune. Ce détail, excellent dans les vers du Mantouan, n’aurait pas obtenu dans le marbre le même succès que dans l’épopée romaine. Il aurait violé d’une manière fâcheuse l’harmonie linéaire dont la sculpture doit toujours tenir compte. Dans le récit de. Virgile, le sang ruisselle sur les bandelettes du prêtre de Neptune : autre détail que le statuaire a négligé par respect pour les lois de son art, et je crois qu’il a bien fait. À coup sûr, les deux moyens d’expression omis par artiste grec auraient donné à son