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REVUE. — CHRONIQUE.

depuis leur origine jusqu’à nos jours la génération de ses artistes ; tantôt, visitant un musée, elles se laissent aller au hasard par la diversité des tableaux rassemblés à travers les pays et les temps les plus divers. Si M. de Mercey prend à partie un métaphysicien aventureux, un théoricien trop absolu, c’est pour revendiquer l’indépendance de l’art. À ceux qui disent : La perfection est là ou sera là, il répond que la perfection n’est pas encore atteinte, et qu’elle ne le sera jamais. Sans doute la perfection ne sera jamais atteinte, car la perfection, au sens philosophique, c’est l’excellent, l’éternel, l’infini ; mais ce mot dans les arts prend souvent un sens plus circonscrit. Cette perfection relative, Phidias et Raphaël s’en rapprochent ; elle est aisée à définir : être exempt de tous les défauts et doué de toutes les qualités, prendre seulement de l’homme ce qu’il a de plus noble et de plus immortel, enfin écarter toutes les particularités spéciales et variables, pour représenter dans une sublime abstraction l’homme de tous les temps et de tous les pays. Remarquons-le toutefois : à côté de cet idéal il reste un idéal, qui n’est pas la perfection. Réunir toutes les qualités, c’est nécessairement les borner les unes par les autres. Cependant, si une qualité éclate seule, en effaçant les autres, son isolement lui crée une puissance merveilleuse. Michel-Ange n’est point parfait, car il pousse l’énergie jusqu’à outrer la forme : pourtant Michel-Ange n’est inférieur à personne. De même, ne reproduire de l’homme que la noblesse et la pureté, c’est renoncer à l’expression de l’homme tout entier. Enfin l’homme est à la fois un et divers. La nature humaine peut être conçue d’une seule pièce dans son éternelle unité ; elle peut aussi reparaître dans ses variétés accidentelles, se reconstruire par ses diversités. Ce qu’on nomme l’individu a droit de cité dans l’art. Le modèle et l’artiste peuvent être doués de l’originalité, ce mérite que les anciens évitaient avec soin. À côté de la vérité philosophique et générale se place la vérité particulière et historique. Toutes deux se valent, toutes deux révèlent l’homme à lui-même ; elles sont, pour ainsi dire, les deux moitiés du vrai humain. C’est ce qu’indique M. de Mercey quand il fait remarquer que « la beauté de la forme est peut-être immuable, mais que la beauté d’expression est mobile. » Puisque dans l’art rien ne saurait être ni fini ni infini, laissons-lui l’indéfini.

Comme on voit, M. de Mercey est un juge éclairé et impartial qui joint l’indépendance des jugemens à la connaissance des choses jugées. Peut-être même n’a-t-il pas de préférences assez marquées ; il laisse trop au lecteur le soin de comparer par lui-même les écoles et leur valeur relative. Ce que M. de Mercey aime le moins, c’est l’imitation. Il cite le mot de Michel-Ange : « L’homme qui en suit un autre ne peut marcher devant. « Ce qu’il demande surtout aux artistes, c’est de différer de leurs contemporains et de leurs prédécesseurs. Il semble même désapprouver quelque peu l’imitation des grands maîtres. C’est peut-être aller trop loin, mais c’est pécher par une qualité, par l’esprit libéral.


EUG. JUNG.


LA HARPE D’ÉOLE, par M. G. Kastner[1]. — Tout le monde sait en quoi

  1. In-4°, chez Brandus.