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REVUE. — CHRONIQUE.

du IIe siècle. Telle est celle d’un certain Marcus, connu par un passage de saint Irénée, et sur lequel les Philosophumena contiennent des détails curieux. Quand cet hérétique charlatan prononçait sur le calice les paroles de la consécration, le liquide prenait une teinte rougeâtre, comme par l’effet de ces paroles. Il avait le soin de verser subtilement dans la coupe une poudre légère d’où venait cette couleur de sang. Par un semblable artifice, il montrait aux yeux comment l’humanité tout entière du Sauveur pouvait se renfermer sous les plus petites espèces. Il versait le liquide du calice dans une coupe plus grande où il avait déposé une substance propre à le dilater. À mesure que Marcus prononçait ces paroles : « que l’Être infini remplisse votre être intérieur ; que, semant en vous comme dans un sol fécond le grain de sénevé, il multiplie votre intelligence, » on voyait le liquide croître prodigieusement, mousser et déborder de la coupe. Ce trait a sa valeur pour l’appréciation morale du temps, mais il prouve encore parfaitement la croyance générale à la transsubstantiation.

Mais rien ne fait mieux connaître l’époque, l’état précaire encore des chrétiens, leurs divisions, les difficultés extérieures et intérieures au milieu desquelles l’église devait trouver sa voie, que la notice donnée sur Calliste par l’auteur des Philosophumena. Un autre intérêt s’attache à cette biographie injurieuse : c’est elle qui a fait de l’authenticité de ce livre une question de parti ; c’est elle qui fait le triomphe des uns ou le scandale des autres. Nous en donnons un extrait.

« Calliste était esclave d’un chrétien nommé Carpophore, qui faisait partie de la maison de l’empereur. Comme il professait la même foi que son maître, celui-ci lui confia une somme considérable pour la faire valoir par des opérations de banque. Calliste établit son comptoir dans un lieu qu’on appelait la Piscina publica, et, en qualité de chargé d’affaires de Carpophore, il reçut d’un certain nombre de veuves et de fidèles des dépôts importans. Il perdit tout et tomba dans le plus grand embarras. Il se trouva des gens qui avertirent son maître du désordre de ses affaires, et Carpophore annonça l’intention de demander des comptes. À cette nouvelle, Calliste, effrayé du danger qui le menaçait, prit la fuite vers la mer. Il trouva à Ostie un vaisseau prêt à partir et s’y embarqua ; mais cela ne put se faire si secrètement que Carpophore n’apprît tout ce qui s’était passé. Ce dernier, d’après les indications qu’il avait reçues, se dirigea vers le port, prit des dispositions pour monter aussi sur le navire qui stationnait encore au milieu de la rade. La lenteur du pilote fit que Calliste, qui était dans le bâtiment, aperçut de loin son maître. Voyant qu’il allait être pris, et faisant peu de cas de la vie dans cette fâcheuse extrémité, il se jeta à la mer ; mais les matelots, sautant dans les barques, le sauvèrent malgré lui, et, au milieu des clameurs que poussaient ceux qui étaient sur le rivage, le livrèrent à son maître, qui le ramena et lui fit tourner la meule. Au bout de quelque temps, comme il arrive d’ordinaire, des chrétiens vinrent trouver Carpophore pour le prier de pardonner à son esclave… Carpophore, se laissant persuader, ordonna de le délivrer ; mais celui-ci, qui n’avait rien à rendre et qui se trouvait dans l’impossibilité de s’enfuir de nouveau parce qu’il était surveillé, imagina un moyen de s’exposer à la mort. Un samedi, feignant d’aller trouver des débi-