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tombe d’en haut y tempère l’horreur des ténèbres. Vous ne pouvez pas dire que vous voyez des fenêtres : ce sont plutôt des trous à lumière. On avance pas à pas dans la nuit profonde qui vous entoure ; vous vous rappelez ce vers de Virgile :

Horror ubique animos, simul ipsa silentia terrent.

La plus vaste et la plus merveilleuse de ces catacombes est celle de Calliste, et nous apprenons par un passage des Philosophumena qu’il en fut chargé par le pape Zéphyrin. Calliste est l’un des papes qui ont gouverné l’église durant l’époque dont M. Cruice a raconté l’histoire. C’est une heureuse idée d’avoir rattaché au nom de Calliste et au souvenir de ses travaux dans les souterrains les détails les plus intéressans que fournit l’archéologie sur les catacombes.

Les disputes, les hérésies, les combats d’opinions, forment une grande partie de la vie morale des chrétiens de ce temps. Leur grand nombre favorise déjà les divisions : devant cette multitude à conduire, les uns pratiquent une douceur prudente, les autres affichent une ambitieuse austérité. Une querelle bien ancienne et bien moderne, presque aussi vieille que le christianisme, la querelle de la voie large et de la voie étroite, s’élève au milieu même du combat contre l’ennemi commun, et, pour ainsi dire, entre deux persécutions. De même le jansénisme, dont l’esprit rappelle d’une manière frappante les idées de Montanus et de Tertullien, se produisait dans l’église au moment même où l’on combattait le protestantisme et cet ennemi bien plus redoutable, ou plutôt le véritable ennemi, le scepticisme, que tous les grands esprits du XVIIe siècle, Pascal, Bossuet, Fénelon, ont si clairement aperçu. Arnauld défendait Port-Royal tout en se mesurant contre les réformés, de même que Tertullien écrivait son Apologétique tandis qu’il invectivait contre ceux qui n’étaient pas comme lui partisans outrés du jeûne et des rigueurs. Plus il était brave et hardi contre ceux du dehors, plus il était injuste au dedans contre ses frères moins violens que lui. C’est un rôle qui a souvent des imitateurs ; mais il y a peu de grands Tertulliens et il y en a beaucoup de petits. Moins savans et moins éloquens, les petits Tertulliens sont plus habiles : ce sont des défenseurs incommodes, mais ils se chargent de ce que Balzac appelle la vilaine besogne.

Il faut rattacher au même mouvement d’idées la dispute qui s’éleva au sujet des lettres païennes. On pensait alors que la plupart des hérésies étaient nées de la philosophie et de la littérature des anciens. On a tout dit, depuis quelques années, sur cette question fort vieille, comme on le voit ; mais une observation se présente naturellement, quand on rapproche Tertullien de ceux qui ont défendu naguère des opinions analogues. Tertullien voulait qu’on cherchât dans les auteurs profanes des secours pour défendre la bonne cause ; il permettait aux chrétiens l’étude des lettres païennes, mais il leur en interdisait l’enseignement. Ne pourrait-on pas soupçonner que les ennemis de ces mêmes lettres aujourd’hui ne voulaient pas les enseigner, pour n’avoir pas à les étudier ?

Des sectes moins respectables que celle de Montanus complètent le tableau