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REVUE. — CHRONIQUE.

tianisme vivre dans le monde des esclaves, les suivre pour ainsi dire à la trace, d’abord sur la croix, dont ils ont le privilège, et qui fournit un si grand nombre de tristes plaisanteries aux auteurs de comédies, puis dans les arénaires et les mines, qui sont le théâtre de leurs supplices et de leurs fatigues. Par un admirable contraste, les ouvriers de ces nouveaux arénaires deviennent des personnages respectés et comme des dignitaires ; le misérable emploi de creuser ces souterrains est désormais un sacerdoce. Le titre de fossor, mineur ou fossoyeur, figure sur leur tombe comme un titre d’honneur. Dans une des cryptes de la catacombe de Calliste, on voit même l’image d’un de ces ouvriers pontifes. L’inscription de sa tombe porte ces mots : Diogenes fassor in pace depositus. De chaque côté de l’épitaphe est une colombe, emblème de la résurrection. Diogène est représenté debout ; on croirait qu’une toison est suspendue à son épaule gauche : c’est peut-être un coussinet pour le transport des fardeaux. Quelques archéologues ont prétendu reconnaître l’amphibalum, espèce de capuchon dont les ouvriers se couvraient la tête. L’épaule droite porte un pic de carrier ; il tient de la main gauche une lampe. Son vêtement est une tunique courte à manches étroites, sur laquelle trois croix sont gravées, deux à la partie inférieure et une autre sur le bras droit. Ces signes rappellent que l’état du fossoyeur était un des degrés de la hiérarchie ecclésiastique.

Comme cimetières, les catacombes furent une innovation. Ne doutant pas de la résurrection de la chair, les chrétiens avaient pour les corps un respect qui ne pouvait leur permettre de les brûler. La sépulture du Christ leur marquait d’ailleurs trop nettement leur devoir. Les ensevelir à la surface du sol était trop contraire aux mœurs, et il fallait une révolution religieuse complète pour assurer aux chrétiens le droit d’inhumation. Ils imaginèrent de creuser des lits dans ces souterrains qui étaient leur royaume, et de les fermer avec une pierre comme avait fait Joseph d’Arimathie. Sur ces lits, leurs morts dormaient en attendant le jugement suprême, et ces galeries funèbres s’appelèrent cœmeterium, mot grec qui signifie « dortoir, lieu de repos. » Les cimetières des nations modernes sont tout simplement des imitations des catacombes. Dans ces vastes nécropoles, les vivans étaient en relation continue avec les morts : on y célébrait les mystères, et tous les jours on y rappelait les chrétiens qui étaient morts à la même date de l’année : de là vient que les épitaphes portent le jour de la mort et ne font aucune mention de l’année. Quand les chrétiens ne furent plus contraints de se cacher, les catacombes, si ce n’est dans des cas exceptionnels, cessèrent aussi bien d’être un cimetière qu’une retraite ; elles ne furent plus que la sépulture vénérée des martyrs. C’est ce qui avait lieu dès le temps de l’enfance de saint Jérôme. — Dans mon enfance, dit-il, pendant que je demeurais à Rome, où je recevais une instruction littéraire, j’avais coutume de visiter chaque dimanche, avec des condisciples de mon âge, les sépultures des apôtres et des martyrs. Nous entrions souvent dans les cryptes creusées dans les profondeurs de la terre, et dont les murs sont garnis de sépultures à droite et à gauche. L’obscurité est si grande qu’elle semble impénétrable, et qu’on pourrait s’appliquer à soi-même le mot du prophète : Ils descendent tout vivans dans les abîmes. De temps en temps, un peu de jour qui