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que chaque jour amène, et ces scènes grimaçantes ou pittoresques qui se déroulent aux deux extrémités du monde, se repose. Elle fait comme Candide au terme de ses aventures (mais les aventures des nations ont-elles un terme ?) : elle cultive son jardin. Elle vient de clore la petite session très peu agitée et assez silencieuse de ses conseils-généraux. Plusieurs conseils-généraux ont cependant élevé la voix à propos d’une grande question, celle de la liberté commerciale, que le gouvernement a soulevée il y a quelques mois en présentant un projet de loi pour effacer les prohibitions de nos lois de douane. Il serait difficile de puiser dans les vœux émis par les conseils-généraux des données bien précises sur cette question, que le gouvernement soumet d’ailleurs en ce moment à l’examen d’une commission d’enquête, et qui reviendra à la prochaine session du corps législatif. Nous ne ferons d’exception que pour le conseil-général de l’Hérault. L’opinion publiée de ce conseil, présidé par M. Michel Chevalier, est, par l’élévation de la pensée et l’autorité du langage, un résumé remarquable, et à notre avis irréfutable, des vraies doctrines en matière de législation commerciale. Il faut d’ailleurs l’avouer, les vœux de la majorité des conseils-généraux paraissent être défavorables, sinon à la suppression des prohibitions, du moins à une réduction sérieuse des droits protecteurs. Il se dégage pourtant de quelques-unes de ces manifestations protectionistes une pensée juste, et dont le gouvernement, avec la ferme volonté qu’il a témoignée de marcher dans une voie progressive de liberté commerciale, fera bien de tirer profit. Plusieurs conseils-généraux demandent qu’en supprimant les prohibitions et en abaissant les droits protecteurs, le gouvernement abolisse d’abord les droits sur les matières premières. Cette réclamation est parfaitement légitime. L’état, lorsqu’il demande à l’industrie le sacrifice des droits différentiels qui la protègent, doit le premier donner l’exemple et renoncer aux avantages purement fiscaux qu’il retire du tarif au détriment de la production. C’est ainsi qu’a procédé le gouvernement anglais, lorsqu’il y a trente ans il entreprit de faire pénétrer les principes de la liberté du commerce dans la législation du royaume-uni. Il débuta par la suppression des droits sur les matières premières, le coton, la laine, etc. Or le coton et la laine paient encore chez nous des droits considérables. Ce serait de la part d’un gouvernement une inconséquence et une injustice que d’exiger de la production nationale qu’elle subît la concurrence de l’industrie étrangère, s’il l’obligeait à payer la matière première plus cher que l’étranger. En agissant prudemment et par des mesures d’ensemble, en observant dans les premiers essais de remaniement de tarifs quelques-unes des précautions recommandées par les vœux des conseils-généraux, on réussira, nous en sommes sûrs, à vaincre les oppositions protectionistes et à implanter dans notre système commercial un principe fécond, qui, une fois appliqué, se développera naturellement et rapidement sous l’impulsion des intérêts mieux éclairés et par l’activité même du travail. eugène forcade.