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Neuchâtel. Quelle sera la portée de cet incident ? Le cabinet de Berlin se déclare étranger au mouvement tenté par les royalistes neuchatelois ; mais il n’était pas à supposer qu’il pût laisser échapper cette occasion de saisir les puissances de la question d’opportunité réservée par le protocole de 1852. Telle est en effet la conduite qu’il se propose de tenir ; mais que fera-t-il, si, comme il est désirable et probable, la conférence refuse une seconde fois d’admettre l’opportunité de la revendication des droits du roi de Prusse ? Il faut prévoir que dans cette hypothèse la Prusse, repoussée par la conférence de Paris, s’adressera à la confédération germanique. Si la diète de Francfort acquiesçait aux demandes de Berlin, et donnait passage aux troupes prussiennes sur la partie du territoire germanique qui sépare la Prusse de Neuchâtel, cette complication prendrait une gravite bien peu proportionnée à l’importance de l’objet du débat. Nous ne doutons point que de pareilles extrémités ne soient prévenues par les nombreux frottemens diplomatiques par lesquels le cabinet de Berlin devra passer avant d’atteindre le but qu’il semble s’être assigné dans le moment de la première émotion. L’opinion publique de l’Europe ne comprendrait ni ne tolérerait que la paix fût inquiétée pour un intérêt si mince et un droit si ambigu.

La prudente modération que l’Angleterre vient de montrer dans l’arrangement de ses différends avec les États-Unis pourrait au besoin être proposée pour modèle à la Prusse en cette circonstance. L’Angleterre, devant les jalousies et les susceptibilités américaines, n’a pas craint de faire l’abandon de droits non moins bien établis peut-être que ceux de la maison de Hoehenzollern sur Neuchâtel, qui correspondaient à des positions géographiques singulièrement supérieures en importance à celle de la petite principauté républicaine. Voilà l’Union américaine libre encore une fois de complications extérieures, heureuse si elle pouvait trouver en elle-même, pour calmer ses dissensions intérieures, un peu de cette sagesse et de cet esprit de conciliation qu’elle vient de rencontrer si à propos chez son ancienne métropole. Le spectacle que présente le congrès américain depuis près d’une année est un exemple curieux et triste des singulières contradictions qui se démènent au sein des sociétés démocratiques malgré l’apparente régularité de leurs institutions. Cette grande et florissante république, inaugurée par une éclatante déclaration et par une revendication glorieuse des droits de l’homme, est aujourd’hui divisée presque en deux parts égales par cette question de l’esclavage que les grandes monarchies de l’Europe ont déjà résolue à leur honneur, conformément aux généreux principes du christianisme et de la philosophie moderne. Il s’agit de savoir si le nouvel état du Kansas sera un état à esclaves ou un état free-soiler. L’importance de cette question, c’est qu’elle peut altérer la majorité que le parti de l’esclavage, uni au parti démocrate le plus avancé, possède dans le sénat. On sait en effet que les bases de la représentation des états dans la chambre des représentans et dans le sénat ne sont point les mêmes. Les états envoient à la chambre des représentans un nombre de députés proportionné à leur population. Dans le sénat, au contraire, chaque état, quelle que soit sa population, est représenté par deux membres. Il en résulte que les deux chambres du congrès ne représentent point avec la même précision les forces réelles des partis dans