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Neuchâtel était à la fois une principauté appartenant au roi de Prusse et un canton helvétique. De là une situation bizarre dont l’ambiguité est fort difficile à démêler. En mars 1848, une révolution républicaine éclata à Neuchâtel, et la nouvelle loi fondamentale de la république helvétique ne tint plus compte du titre du roi de Prusse à la principauté. Lorsque le nouveau pouvoir fédéral notifia son avènement à la cour de Berlin, celle-ci, dans sa réponse, fit une réserve : c’est que la nouvelle constitution ne pouvait préjudicier en rien aux droits du roi de Prusse comme prince de Neuchâtel. Le conseil fédéral repoussa catégoriquement cette prétention. La légation prussienne refusant de légaliser les actes du canton de Neuchâtel, le conseil fédéral demanda que Neuchâtel donnât son avis comme canton sur ce qu’il y avait à faire pour trancher le différend. Neuchâtel hésita ; le conseil, suivant l’expression de son président, dut se passer de son avis et aller de l’avant. Il adressa au gouvernement prussien, vers la fin de 1848, une note énergique, où il tenait peu de compte des prétentions du roi de Prusse, où il invoquait la constitution fédérale, la position particulière de Neuchâtel, qui, sous le titre de principauté, était primitivement une république, enfin la révolution de mars 1848, entérinée dans la constitution fédérale. Le cabinet de Berlin prit au mot l’argument révolutionnaire que le conseil fédéral avait maladroitement mis en avant. Il répondit qu’aussitôt que le gouvernement nouveau de Neuchâtel serait renversé et que le précédent serait rétabli, la Prusse se prêterait à ce que pouvaient exiger les besoins de ce canton et la situation nouvelle de la confédération suisse. Le conseil répliqua en 1850 par une nouvelle note très incisive contre le roi de Prusse, où l’on rappelait assez peu courtoisement au roi la part qu’il avait prise en 1848 dans les mouvemens révolutionnaires de l’Allemagne, et où l’on exprimait l’étonnement qu’après tout ce qu’il avait fait alors dans ses états et dans la confédération germanique, le roi de Prusse ne voulût pas reconnaître ce qui s’était accompli à Neuchâtel. La question fut portée ensuite devant une commission du conseil national. Cette commission conclut dans son rapport qu’il eût été préférable que le conseil fédéral s’abstînt de la correspondance qui avait eu lieu avec la Prusse, que la question de Neuchâtel méritait par son essence même, à un très haut degré, les sympathies de la Suisse entière, et que celle-ci était unanime à penser que la position faite au canton de Neuchâtel par la constitution fédérale devait être maintenue à tout prix.

Le roi de Prusse cependant, qui avait été réintégré dans la principauté de Neuchâtel par les traités de 1814, invoqua l’autorité de ces traités auprès des grandes puissances. La question traîna en longueur. Enfin en 1852 les puissances reconnurent et consacrèrent par un protocole les droits du roi de Prusse, avec cette réserve qu’il ne les ferait point valoir par des mesures coercitives, et que les puissances seraient consultées sur l’opportunité du moment où la cour de Berlin croirait devoir les revendiquer. On se souvient que les plénipotentiaires prussiens ont récemment essayé, mais sans succès, de faire prononcer le congrès de Paris sur cette question d’opportunité. Telles sont les données diplomatiques au milieu desquelles le coup de main malheureux de M. de Pourtalès et de ses amis est venu ressusciter la question de