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roumaines, et la rectification des frontières russes du côté du Bas-Danube. De ces trois conséquences du traité de Paris, la première ne peut donner lieu aujourd’hui à des complications générales et à des conflits entre les gouvernemens. Devançant les vœux des puissances chrétiennes, ou répondant aux sentimens officieusement exprimés de ses alliés, le sultan, dans le plein exercice de sa souveraineté, a octroyé aux populations chrétiennes de son empire des droits qui doivent les relever, au point de vue civil et politique, au niveau des populations musulmanes. Sans doute personne n’a dû croire que les mesures qui apportaient un si notable changement au sort des rayas se pussent réaliser par un simple fiat de la volonté du sultan. Nulle part et en aucun temps, on n’a vu des réformes sociales de cette étendue, tentées au milieu de races et de cultes hostiles, s’accomplir sans obstacles et sans secousses. Sera-t-il possible de dompter sur tous les points de la Turquie la résistance des musulmans aux nouvelles réformes, et d’en inspirer même le goût à toutes les populations chrétiennes ? Faut-il espérer que l’on réussira jamais ou que l’on réussira longtemps à faire vivre en bon accord deux races qui, dans leurs relations séculaires de peuple conquérant à peuple conquis, d’oppresseurs à opprimés, ont contracté une habitude si invétérée de se mépriser et de se haïr ? L’avenir seul, et un avenir lointain, répondra à cette question. Il suffit pour le moment d’être autorisé à croire à la bonne foi et aux bonnes intentions du gouvernement ottoman, et personne sur ce point n’a encore le droit d’élever un doute. De la part des puissances occidentales, une vigilance patiente et amicale est le moyen le plus efficace d’encourager et d’affermir le sultan dans la généreuse entreprise où il s’est engagé.

L’œuvre si intéressante de la réorganisation des principautés ne présente pas non plus de dangers prochains. La Moldavie et la Valachie seront-elles réunies ou resteront-elles divisées ? Il y a, il est vrai, sur la solution qui se prépare à cette question quelque divergence d’opinion entre les puissances qui ont signé le traité de Paris. On comprend que la Porte craigne que l’union des deux provinces n’affaiblisse encore le léger lien de suzeraineté par lequel elle les retient. On s’explique que le cabinet de Vienne, si embarrassé par les questions de nationalités, ne voie pas avec plaisir la nationalité roumaine se constituer par l’unité de gouvernement à côté de provinces où l’empereur d’Autriche compte parmi ses sujets deux millions de Valaques. La Russie ne semble point avoir de parti-pris. La France, dégagée de ces petites préoccupations d’intérêts directs ou locaux, n’a point dissimulé, dès le principe, ses sympathies pour la noble aspiration des Roumains à l’unité. Un intérêt supérieur de civilisation et de politique générale nous semble conseiller l’union de la Moldo-Valachie. Au lieu d’affaiblir en les divisant les élémens homogènes de races qui peuvent devenir un jour des forces organisées, une politique élevée doit s’appliquer au contraire, en Orient, à en favoriser la concentration et le développement partout où ils font preuve de vitalité. C’est à tort que l’on a prétendu que l’Angleterre prenait, à l’égard de l’organisation des principautés, une position contraire à la nôtre. Il n’est point vrai que le gouvernement britannique penche pour la division. La seule différence qui le distingue de nous, c’est que, s’en